Chroniques

«Si c’est gratuit, c’est toi le produit!»

Aujourd'hui Hier Demain

Pour des milliers d’utilisateurs et d’utilisatrices de Facebook le réveil sonne comme une gueule de bois carabinée. Cet outil merveilleux qui leur permet de donner des nouvelles à leurs ami-e-s partout dans le monde, de montrer le bébé nouveau-né, d’annoncer fièrement leurs réussites professionnelles, d’exposer leurs magnifiques photos de vacances est en fait un attrape-données personnelles. Pouvait-on se rendre compte de la supercherie dont nous étions victimes? Sans doute oui, puisque certaines personnes tentent d’éclairer leurs semblables depuis assez longtemps sur les travers des réseaux sociaux et l’existence d’une contrepartie pour un service qui se dit pourtant gratuit. Il suffit de taper le titre de cette chronique dans un moteur de recherches (plutôt pas Google) pour s’en convaincre.

Il y avait déjà eu des précédents sous diverses formes. En fait, les journaux ont toujours (en tout cas depuis le XIXe siècle) tiré une partie de leurs ressources de la publicité, c’est-à-dire de la mise à disposition de l’attention de leur public aux annonceurs. L’américain James Bates, fondateur de la Tribune de Genève, affirmait vouloir offrir aux Genevois-e-s une «œuvre patriotique et nationale» accordant beaucoup de place aux nouvelles locales. Son journal était quand même largement financé par la publicité.

Aujourd’hui, ce modèle économique persiste pour beaucoup de journaux, qui encartent des publicités dans leurs colonnes, ou même parfois dans des cahiers entiers glissés entre leurs pages. C’est d’ailleurs devenu un problème dans un monde où l’Internet a multiplié les possibilités d’atteindre le public, réduisant d’autant les fameuses parts de marché de la presse. La Tribune en a fait les frais, puisque ses petites annonces, hautement rémunératrices, ont migré vers d’autres cieux qui appartiennent pourtant au même groupe.
Même combat à la télévision. Patrick Le Lay, patron de TF1 entre 1988 et 2008, affirmait sans ambages: «Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective ‘business’, soyons réaliste: à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (…).

«Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible: c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (…).

«Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise.»1>AFP 8 juillet 2004. Cité d’après Acrimed: http://www.acrimed.org/Le-Lay-TF1-vend-du-temps-de-cerveau-humain-disponible

Facebook a fait un pas en plus dans la même direction: plus besoin d’inventer constamment de nouveaux programmes pour conserver son audimat puisque le contenu est généré par les utilisateurs et les utilisatrices. Le «changement permanent» est donc assumé par le public. Et la contrepartie n’est plus seulement leur cerveau, mais leur vie en général: leurs données personnelles, leurs goûts culturels, leurs relations sociales et, bien sûr, leurs convictions politiques. Que rêver de mieux pour les annonceurs que cette vaste réserve d’informations qui leur permet de mieux cibler leur publicité? Quel pays de Cocagne pour les partis politiques pour mieux diriger les appels aux votes! Beaucoup ont répondu que de toute façon elles et ils n’avaient «rien à cacher». Puis, on s’est rendu compte que ce n’étaient pas seulement nos propres données qui sont en jeu, mais aussi celles de nos relations. En décembre 2017, l’application WhatsApp a été sommée de cesser de transférer automatiquement et illégalement les données à Facebook ou de demander l’accord des utilisatrices et utilisateurs. Ces informations peuvent être ensuite vendues à diverses entités (annonceurs, partis politiques, think tanks, etc.). Les entreprises peuvent utiliser les réseaux sociaux pour surveiller leurs employé-e-s ou pour en savoir plus sur un-e candidat-e. Quand le service est gratuit, il parait raisonnable de se demander qui est véritablement le produit2>A voir le très bon film documentaire qui lève le voile sur cette question: https://nothingtohidedoc.wordpress.com/.

Notes[+]

* Historienne.

Opinions Chroniques Alix Heiniger

Chronique liée

Aujourd'hui Hier Demain

lundi 15 janvier 2018

Connexion