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Le droit national peut exiger qu’un prévenu soit défendu par un avocat

Chronique des droits humains

Le 4 avril dernier, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a dit, par 9 voix contre 8, que le Portugal n’avait pas violé l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal qui décidera du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle et le droit de se défendre elle-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix. L’affaire concernait un avocat portugais qui prétendait pouvoir se défendre tout seul dans une procédure pénale dirigée contre lui, bien que la loi portugaise impose dans tous les cas qu’un prévenu soit doté d’un défenseur 1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 4 avril 2018 dans l’affaire Carlos Correia de Matos c. Portugal (Grande Chambre)..

Lors d’une audience tenue le 28 février 2008 dans une affaire civile, l’avocat en question critiqua les décisions prises par le juge, déclarant que ces décisions n’étaient pas dignes d’un juge et qu’un juge ne pouvait ni mentir ni omettre la vérité dans l’exercice de sa charge. Le juge saisit alors le parquet d’une plainte pour outrage à magistrat. Dans la procédure pénale qui s’ensuivit, le requérant refusa de mandater un avocat, si bien que le parquet lui en désigna un d’office. Le Tribunal de première instance rejeta la requête du prévenu de pouvoir assurer sa propre défense. Cette décision fut confirmée en appel; la Cour d’appel a relevé qu’en droit portugais, un accusé devait bénéficier d’un avocat lors de l’audience devant le juge d’instruction et au procès dans toute affaire susceptible d’aboutir à l’imposition d’une peine privative de liberté ou d’une ordonnance de sûreté. Elle a précisé que cette règle reflétait le postulat selon lequel l’accusé était mieux défendu si sa défense était assurée par un professionnel du droit formé à la fonction d’avocat. Ce dernier n’était pas encombré par la charge émotionnelle pesant sur un accusé et était ainsi à même d’assurer une défense lucide, dépassionnée et effective. Cette règle n’avait donc pas pour but de limiter la défense de l’accusé, mais de contribuer à ce qu’il fût bien défendu. Le recours formé auprès du Tribunal constitutionnel contre ce jugement par le requérant agissant seul fut déclaré irrecevable. Au procès, le requérant fut condamné à une peine de 140 jours-amende au taux journalier de 9 euros ainsi qu’au paiement des frais de justice. Les recours formés contre cette décision furent rejetés.

La Cour a estimé, dans sa majorité, que la décision d’autoriser un accusé à se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat ou de désigner un avocat pour le représenter relevait encore de la marge d’appréciation des Etats contractants, mieux placés que la Cour pour choisir les moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir les droits de la défense. La majorité rappelle toutefois que cette marge d’appréciation n’est pas illimitée, les autorités nationales devant en principe tenir compte des souhaits de l’accusé quant à son choix de représentation en justice. Elles ne peuvent passer outre que s’il existe des motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent, ce qui implique pour la Cour de vérifier le caractère pertinent et suffisant des motifs avancés par le législateur national.

Plusieurs juges minoritaires ont émis des opinions dissidentes, dont une, remarquable, rédigée par le juge portugais. Les juge minoritaires critiquent notamment le concept trop élastique de marge d’appréciation laissée aux Etats.

En Suisse également, un prévenu peut être doté d’un défenseur d’office, même contre sa volonté. L’article 130 du Code de procédure pénal prévoit les cas où il est indispensable que le prévenu ait un défenseur: si la détention provisoire, y compris la durée de l’arrestation provisoire, a excédé dix jours, si le prévenu encourt une peine privative de liberté de plus d’un an, en raison de son état psychique ou physique, si le ministère public entend intervenir personnellement devant le tribunal ou si une procédure simplifiée est mise en œuvre.

Cet arrêt ne devrait pas remettre en cause cette disposition, dont la conformité à la Convention était parfois discutée en doctrine.

Notes[+]

* Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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