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Empêcher un autre massacre de détenus politiques

Face à la dernière vague de répression subie par le mouvement de protestation populaire en Iran, Simin Nouri, présidente de l’Association des femmes iraniennes en France, appelle la communauté internationale à réagir.
Iran

Plus de cinquante citoyens iraniens ont été tués lors du mouvement de protestation populaire qui a débuté le 28 décembre 2017 par les habitants de la deuxième ville de l’Iran, Machhad (nord-est), et qui s’est aussitôt propagé, soulevant quelque 140 autres villes à travers le pays. Parmi des manifestants tués, plusieurs jeunes sont décédés sous la torture dans les centres de détention.
Incarcéré dans le quartier dit «quarantaine» de la sinistre prison d’Evin, à Téhéran, Sina Ghanbari, 23 ans, a succombé sous la torture. Deux autres jeunes manifestants, Mohsen Adeli et Vahid Heidari, ont perdu la vie dans les prisons de Dezful et d’Arak. Seyed Shahab Abtahi, un manifestant de 20 ans, arrêté à Arak, est également mort en prison. Dix jours plus tard, son corps portant des ecchymoses apparentes a été retrouvé gisant devant la porte d’entrée de sa maison. Sarou Ghahremani, Kianoush Zandi, Ali Pouladi et Aria Roozbehi ont subi le même sort. Dans des déclarations teintées d’un cynisme incroyable, le régime des mollahs prétend qu’«ils se sont donné la mort»!

D’après les médias, plus de 8000 personnes ont été arrêtées et demeurent à ce jour dans les geôles des mollahs dans d’effroyables conditions. De nombreuses familles sont toujours à la recherche de leurs proches arrêtés ou disparus. L’inquiétude est immense sur le sort de ces détenus accusés par le pouvoir d’être «en guerre contre Dieu», un chef d’accusation passible de la peine capitale. Or le bilan plus que noir de la théocratie au pouvoir depuis près de quarante ans en Iran continue à susciter de vives inquiétudes chez les familles et les défenseurs des droits de l’homme. Le régime des mollahs a le record mondial d’exécution de ses propres citoyens.

Le massacre de plus de 30 000 prisonniers politiques en été 1988 ordonné par Khomeiny et exécutés par les «commissions de la mort», dont plusieurs membres occupent à l’heure actuelle des postes de responsabilité aux hauts échelons de l’Etat, demeure plus que jamais gravé dans la mémoire collective. La plupart étaient des militants de l’opposition des Moudjahidine du peuple (OMPI).

Ainsi, un mouvement grandissant contre l’impunité des commanditaires et exécutants du massacre de 1988 continue à réclamer haut et fort une enquête internationale pour que la lumière soit faite sur ce crime et que ses responsables rendent des comptes devant la justice.

Pour aborder ce drame indescriptible dans toutes ses dimensions, une audition de la société civile était organisée le 1er février au Club de la presse de Genève, non loin du siège des Nations Unies. A l’initiative de plusieurs ONG, des familles et des proches des victimes ainsi que des survivants du massacre ont témoigné directement devant un parterre d’experts en droit pénal international et des spécialistes des droits humains 1>Accessible sur le site du Club suisse de la presse (vidéo): http://bit.ly/2nxmIRM.

Aujourd’hui encore le guide suprême désigne les membres de l’OMPI qu’il appelle «les hypocrites» comme responsables des manifestations. Dans les contre-manifestations officielles, des slogans appellent à l’exécution des «hypocrites»!
Grâce aux médias et aux réseaux sociaux, le monde est cette fois informé de la présence des milliers de détenus politiques et prisonniers d’opinions opposés au régime islamiste de velayat-e faqih (tutelle absolue d’un guide suprême religieux). De même, le massacre de 1988, dissimulé et passé sous silence depuis une trentaine d’années, est aujourd’hui dévoilé à l’opinion internationale et enregistré dans les documents de l’ONU.

Compte tenu de l’attitude extrêmement violente des dirigeants de la dictature religieuse vis-à-vis de ses opposants dans le passé, notamment contre les prisonniers politiques dans les années 1980, après les protestations en 2009 et en réaction à la révolte populaire actuelle lors de laquelle les manifestants ont exprimé leur souhait d’un changement de régime, l’éventualité d’un nouveau massacre se dessine à l’horizon. Il est donc urgent que l’ONU et ses instances interviennent avec l’appui de la communauté internationale, par tous les moyens, pour empêcher un autre crime monstrueux.

Notes[+]

* Présidente de l’Association des femmes iraniennes en France et coauteure de Où va l’Iran? Regards croisés sur le régime et ses enjeux d’influence, Ed. Autrement, mai 2017.

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