Édito

Gâchette facile en Argentine

Gâchette facile en Argentine
Le président argentin, Mauricio Macri, félicite un policier ayant abattu un suspect en lui tirant dans le dos. (Keystone / AP Photo/Argentine Presidency)
Droits humains

La sécurité publique et le discours politique se militarisent à nouveau dans le sud de l’Amérique latine. Le gouvernement conservateur du Brésilien Michel Temer a annoncé vendredi l’intervention de l’armée à Rio de Janeiro. En Argentine, la ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, a demandé ce week-end aux forces militaires de contrôler deux quartiers pauvres de Rosario.

La tendance est préoccupante. En Argentine, le gouvernement semble avoir décidé de resserrer les rangs de ses partisans en déclarant une nouvelle «guerre» contre la délinquance. Ou plutôt contre les supposés délinquants. Alors que des proches du président Mauricio Macri évoquent une «demande populaire» en faveur de la peine de mort, Patricia Bullrich plaide pour un «changement de doctrine» pour les membres des forces de sécurité. En clair: permettre aux policiers de faire usage de leurs armes quand ils l’entendent.

La polémique a éclaté début février, lorsque la justice a inculpé un agent – qui n’était pas en service – ayant abattu un jeune homme. Le président argentin l’a alors accueilli en héros. Des images ont montré que le policier avait tiré dans le dos du suspect, qui s’enfuyait. Le chef de l’Etat n’a pas pour autant changé son discours. Au contraire, il a réaffirmé ne pas comprendre les juges. En novembre, Patricia Bullrich avait déjà défendu des gendarmes ayant tué un jeune militant mapuche en lui tirant dans le dos. «Ils m’ont dit qu’il était menaçant. Cela me suffit», avait en substance décrété la ministre. Aujourd’hui, en déclarant que le gouvernement doit «protéger» ses policiers en les considérant, par principe, innocents, elle leur délivre un permis de tuer. Au mépris des principes de base des Etats de droit.

Cette dérive est particulièrement inquiétante dans un pays où l’austérité accroît jour après jour les inégalités, et où la contestation est toujours plus violemment réprimée. Elle montre aussi que l’Argentine n’a pas chassé les démons de la dictature (1976-1983), qui a vu les militaires assassiner 30 000 opposants. Pendant qu’une partie de la société estimait qu’ils «avaient bien dû faire quelque chose» pour mériter ça.

Cet épisode sombre de l’histoire illustre pourtant la nécessité d’encadrer strictement l’action de la police et des militaires, par la loi et par le contrôle démocratique. De ne jamais laisser les intérêts privés, l’arbitraire ou les préjugés dicter l’action de la main armée de l’Etat. Bien au-delà du cas argentin.

Opinions International Édito Gustavo Kuhn Droits humains

Connexion