Chroniques

Mauvaises odeurs et bonnes résolutions

L’extrême-droite autrichienne, le FPÖ, arrivée troisième aux législatives du 15 octobre avec 26% des suffrages, derrière les cathos conservateurs de l’ÖVP (31,5%) et les sociaux-démocrates du SPÖ (27%), se retrouve au gouvernement avec six ministères, dont les Affaires étrangères, l’Intérieur et la Défense. Dans trois mois, ce sera le 80e anniversaire de l’Anschluss, l’absorption de l’Autriche par le IIIe Reich nazi. Bon, pas de panique, l’Anschluss n’est pas au programme, vu qu’en Allemagne on se dirige vers une coalition entre chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates, mais quand même, l’extrême-droite au pouvoir, même si c’est pas toute seule, en Autriche, ça n’illumine pas les fêtes de fin d’année.
L'Impoligraphe

Alors je sais bien qu’en 2018, en Suisse, on célébrera le centenaire de la seule Grève générale que ce pays ait jamais connue, mais il aura quand même fallu soixante ans pour que la majorité des revendications qu’elle posait soient satisfaites. Pour le reste, on devrait quand même se secouer un peu et réapprendre (surtout à gauche) à distinguer nos adversaires de nos ennemis, et nos concurrents de nos alliés, ne serait-ce que pour éviter de faire les mêmes conneries que nos prédécesseurs des années trente…

Et sans vouloir jouer (du moins volontairement) au vieux con ratiocineur, on se dit qu’il y a quand même des moments historiques où ce minimum d’intelligence politique devrait s’imposer – et qu’on est peut-être dans un de ces moments. Un sondage qui vient de tomber nous le confirme, d’ailleurs: nos concitoyens et toyennes sont 53% à demander une politique d’asile plus restrictive, comme si elle ne l’était déjà pas assez. On notera sans surprise que c’est là où il y a le moins de réfugiés qu’on considère le plus majoritairement qu’il y en a trop (et que, parallèlement, c’est là où on n’a pas vu de musulmans vivants depuis qu’un Sarrazin s’y est égaré il y a 700 ans qu’on estime la proportion des musulmans de notre très chrétien pays – où la majorité de la population ne met jamais les pieds dans un lieu de culte –  à trois fois ce qu’elle est en réalité…).

Bon, être minoritaire ne nous dérange pas – on a au moins cet élitisme-là. Ou cette habitude. Mais l’être sur ces enjeux-là ne laisse pas d’inquiéter, non pour nous qui ne risquons pas grand-chose, voire même rien du tout, mais pour les victimes désignées des politiques ratifiées a priori par la majorité. Les victimes? Toujours les mêmes: la plèbe. Même celle qui brait avec les xénophobes? Même. Or de la plèbe, aujourd’hui, qui est l’incarnation la plus évidente, sinon le migrant nous venant du bout du monde ? Et qu’est-il, ce migrant, pour les populations des pays où il finit par débarquer, quand il ne s’est pas noyé en traversant la Méditerranée, sinon ce que chacun des habitants de nos pays craint de devenir à la défaveur de quelque crise profonde? Chassés de chez eux par la misère, ou la guerre, ou l’oppression, ou la montée des eaux, ils ne réclament de nous que ce que tous nos discours proclament comme des devoirs, et que nos pratiques leur refusent: l’accueil, le droit à la dignité, à un toit, un travail, une éducation, une famille… Leur refuse-t-on ces droits pour une autre raison que celle que nous avons peur de ce que nous pourrions, à leur image devenir, ou redevenir?

Ainsi observe-t-on le retour aux franges de la gauche du culte de la frontière comme barrière contre ces «autres» en quoi nous refusons de nous voir. Que la fermeture des frontières européennes, et de chaque Etat européen, qu’il soit ou non membre de l’Union européenne, ait pour conséquence la mort de milliers de personnes en mer et l’entassement de dizaines de milliers d’autres dans des conditions inacceptables, est une évidence – mais la rappeler semble inaudible, y compris quelque part de celles et ceux qui naguère faisaient leur le slogan «prolétaires de tous les pays, unissez-vous». On disait pourtant bien alors «unissez-vous», pas «expulsez-vous!»
Il paraît que les fêtes de fin d’année sont le moment des bonnes résolutions. Prenons alors les nôtres, d’être de ceux qui ouvrent les portes, pas de ceux qui les ferment. De ceux qui enjambent les barrières, pas de ceux qui les posent. De ceux qui contournent les murs, pas de ceux qui les édifient. D’être d’une cité, pas d’un camp retranché, et d’un pays, pas d’une tribu.

Bonne année 2018. Après JC, pas avant…

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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