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L’impasse du nationalisme

A l’approche des élections régionales catalanes du 21 décembre, René Longet estime qu’une organisation de type fédéraliste en Espagne serait la meilleure solution.
Catalogne

L’organisation politique des territoires est une donnée clé pour avoir prise sur les choses – les grandes comme les petites. Aux problèmes globaux, il faut des solutions globales, et pour cela disposer de plateformes d’analyse et d’action supranationales. Certes, chaque Etat doit balayer devant sa propre porte, mais la moralisation globale de l’économie, la lutte contre le changement climatique ou pour la biodiversité, contre le dumping social nécessitent à l’évidence des moyens à la hauteur géographique des questions. A l’inverse, l’ambition démocratique doit aussi s’incarner dans la gestion de son environnement direct. C’est ainsi que les leviers globaux et la capacité de se gérer localement se répondent. Et sur ces deux plans, l’Etat national est en déficit, voire constitue un obstacle.

De plus, les Etats sont souvent construits autour de peuples ou – en Afrique surtout – reprennent les frontières tracées par les puissances coloniales. Or, les peuples sont des produits d’une histoire plus ou moins longue, de strates migratoires qui se sont succédé au fil des millénaires. La définition d’un peuple reste subjective et historiquement déterminée, a affaire avec des notions comme le sentiment d’appartenance, l’ethnie, la culture, et est fondamentalement évolutive.

Vouloir réduire, comme c’est la tendance générale de nos jours – en réaction à une globalisation mal maîtrisée –, la sphère politique à l’Etat national, c’est faire doublement fausse route. D’une part, c’est se priver du levier multilatéral aujourd’hui cruellement nécessaire. D’autre part, c’est mettre dans le corset d’une seule nation l’ensemble des ethnies vivant sur un territoire. Dans le premier cas, c’est aggraver les dérives de la mondialisation, car il est impossible de la cadrer uniquement au niveau d’Etats tous impactés par les enjeux globaux. Dans le second, c’est ouvrir la porte à une «épuration ethnique» sans fin.

L’histoire de la création de la République turque sur les débris de l’Empire ottoman en est une excellente illustration. Première étape: le massacre abominable des Arméniens, premier des génocides méthodiques du XXe siècle. Peu après: la chasse aux Grecs d’Asie Mineure, leur patrie depuis des siècles. Puis le départ des Juifs. Ensuite la négation de l’identité kurde, qui perdure à ce jour. Enfin l’intolérance croissante en Islam face aux Alévis, aux Soufis… La «balkanisation» est sans fin, menée au nom d’une seule définition de ce qu’est et doit être un habitant du territoire. Le nationalisme porte en germe la destruction de l’autre, de la dictature à l’interne comme à l’externe.

Alors que nous réserve un nationalisme catalan, qui ne fait que répondre en symétrie à la négation de l’ethnie catalane durant le régime de Franco? Cela fait-il sens de se vouloir «indépendant», d’être le 201e Etat de la planète, coincé entre le Soudan du sud et les Iles Caïman? Que fera-t-on des populations qui ne sont pas catalanes? Il est juste d’exiger qu’en Catalogne, on utilise comme langue officielle le catalan, sinon c’est précisément le nivellement. Il est juste que la Catalogne ait de larges droits d’autonomie. Mais faut-il pour cela suivre le modèle dépassé de l’Etat unitaire, celui dont cette province a tant souffert?

Ne faudrait-il pas repenser plus fondamentalement le concept d’Etat? En Europe, heureusement, le modèle fédéraliste progresse. En Allemagne, où il avait été historiquement pratiqué durant des siècles. En Autriche. En Italie. En France, même si la fusion autoritaire de régions qui avaient tout juste commencé à construire leur identité en rappelle la fragilité. Alors pourquoi pas un Etat pluriethnique d’Espagne? Ce serait une belle victoire sur l’illusion et le danger des nationalismes, car nous sommes tous filles et fils de la même humanité, avec autant de trajectoires diverses et bariolées à cultiver et à faire évoluer.

* Ancien maire de la Ville d’Onex.

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