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Un esclave, c’est combien?

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Homme grand et fort pour travaux agricoles». Les images d’une vente aux enchères d’êtres humains, tournées en caméra cachée dans la région de Tripoli en Libye par la chaîne de télévision américaine CNN, font scandale et passent en boucle sur les réseaux sociaux. Des images dégradantes, qui en rappellent d’autres. L’humanité en est-elle toujours à ce stade? Il semblerait en tout cas que l’esclavage moderne connaisse un boom spectaculaire. À preuve: depuis l’année dernière, les Nations Unies ont instauré le 30 juillet «Journée mondiale de la dignité des victimes de la traite d’êtres humains». En insistant sur le fait que «l’esclavage dit ‘moderne’ n’a rien à envier à ce que l’humanité a pu connaître par le passé».

Sur le marché des esclaves de Tripoli, le prix d’un être humain oscillerait entre 400 et 700 euros. En avril dernier, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) avait déjà tiré la sonnette d’alarme, en indiquant que dans le sud de la Libye, des passeurs se payaient en louant pour quelques mois, à des prix situés entre 200 et 300 dollars, des migrants originaires d’Afrique de l’Ouest pour toutes sortes de travaux. Mais c’est la première fois que des images donnent à voir une vente au plus offrant.

CNN parle d’une douzaine de Nigérians qui auraient été vendus en l’espace de quelques instants. Mais les jeunes gens qui affluent en Libye sont originaires de toute l’Afrique de l’Ouest – Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée, Niger, Gambie, Mali – et au-delà, capturés sur leur route vers le nord de la Libye, d’où ils comptent gagner l’Europe. Avant d’arriver dans ce pays en proie au chaos, ils ont déjà dû affronter toutes sortes d’exactions, de rackets.

Les condamnations affluent de toutes parts. Et aussi les questionnements. Que fait la communauté internationale pour lutter contre cette ignominie? Que font les Etats africains pour retenir leur jeunesse, lui porter secours lorsqu’elle tombe dans les filets de passeurs sans scrupules, de milices armées, de trafiquants d’êtres humains qui les rackettent, les kidnappent pour exiger ensuite des rançons à leurs proches, les vendent pour travailler dans l’agriculture ou la construction dans des conditions proches de l’esclavage? Dans ce contexte, il faut saluer les efforts de plusieurs pays africains, telle la Côte d’Ivoire, qui a déjà organisé le retour en avion de plusieurs centaines de ses ressortissants, candidats à l’aventure européenne, bloqués en Libye dans des conditions dantesques.

Reste à savoir si les pays concernés en font assez pour retenir leurs jeunes, leur donner une chance dans la vie, les informer sur les dangers encourus, leur dire que leur pays a besoin d’eux. Lorsque sa propre jeunesse préfère prendre des risques insensés, avec souvent la mort au bout du voyage, plutôt que de rester dans son pays, alors que celui-ci n’est pas en guerre, cela soulève quelques questions.

A quand des campagnes nationales d’envergure, une mobilisation des médias, des voix qui comptent et qui portent, pour retenir ces forces vives qui disparaissent dans le désert ou au fond de la Méditerranée?

Ces «candidats à l’Europe», qui partent parfois avec le sourire, confiants dans leur bonne étoile, souvent avec la bénédiction de leur famille et de leurs proches qui se sont cotisés pour financer l’opération, alimentent de vastes et lucratifs réseaux de trafiquants d’êtres humains. Avec, à la clé, des «chiffres d’affaires» faramineux. Tout aussi affligeant que ce qui se passe en Libye: pour les «chanceux» qui arrivent vivants jusqu’en Europe, ce sont souvent les immenses plantations de fruits et légumes du sud de l’Italie et de l’Espagne, véritables greniers agricoles du reste de l’Europe, qui les attendent. Les migrants y représentent une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci, employée dans des conditions proches de l’esclavage, pour cultiver et cueillir les fraises, les tomates, les pommes, les concombres consommés dans toute l’Europe.

 

Opinions Chroniques Catherine Morand

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