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La liberté de manifester est essentielle dans une société démocratique

Chronique des droits humains

Le 14 novembre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit que la Turquie avait violé l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit à toute personne le droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association1 value="1">Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 novembre 2017 dans la cause Murat Isikirik c. Turquie (2e section). En effet, les tribunaux turcs avaient condamné le requérant à six ans et trois mois d’emprisonnement et à un an et huit mois d’emprisonnement pour appartenance à une organisation illégale, le PKK, et diffusion de propagande en faveur de cette organisation, alors qu’il n’avait qu’assisté aux funérailles de quatre de ses membres et été présent lors d’une manifestation dans l’Université où il étudiait.

Alors étudiant en philosophie à l’Université de Dicle, le requérant a assisté aux funérailles de quatre militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) le 28 mars 2006. Après ces funérailles, auxquelles ont assisté 1500 à 2000 personnes, environ 1000 personnes participèrent à une manifestation, durant laquelle certaines ont jeté des pierres sur des policiers et endommagé plusieurs bâtiments. Cependant, le requérant n’avait, quant à lui, pas lancé de pierres. Une année plus tard, le 5 mars 2007, un groupe d’une quarantaine de personnes avait pénétré dans les locaux de l’Université de Dicle, demandé aux étudiants de partir et tenu une conférence de presse en scandant des slogans en faveur du PKK et de son leader Abdullah Öcalan. Mais le requérant, présent avec d’autres étudiants, n’avait pas chanté de slogans avec les manifestants.

Le requérant a été condamné au mois de novembre 2007 par la Cour d’assises de Diyarbakir à six ans et trois mois d’emprisonnement pour appartenance à une organisation illégale et à un an et huit mois d’emprisonnement pour diffusion de propagande en faveur du PKK. Cette dernière condamnation fut par la suite annulée pour vice de procédure. Le requérant, qui avait été emprisonné dès le mois de mars 2007, a été libéré en novembre 2011 après avoir purgé quatre ans et huit mois de prison. Il a aussi été exclu entretemps de l’université, faute d’avoir pu obtenir un diplôme dans le délai imparti.

La Courrappelle que le droit à la liberté de réunion est un droit fondamental dans une société démocratique et, à l’instar du droit à la liberté d’expression, l’un des fondements d’une telle société. Dès lors, il ne doit pas faire l’objet d’une interprétation restrictive. Lorsque l’exercice de la liberté de réunion a pour objectif l’expression d’opinions personnelles, l’application de l’article 11 doit s’examiner à la lumière de l’article 10 qui garantit la liberté d’expression. Certes, l’article 11 de la Convention ne protège que le droit à une réunion pacifique, à l’exclusion des rassemblements où les organisateurs incitent à la violence ou renient d’une autre façon les fondements de la société démocratique. Mais une personne ne cesse pas de jouir du droit à la liberté de réunion pacifique en raison d’actes de violence sporadiques ou d’autres actes répréhensibles commis par d’autres personnes au cours de la manifestation, dès lors que les intentions ou le comportement de l’individu en question demeurent pacifiques.

Dans le cas qui lui a été soumis, la Cour observe que le requérant n’a pas été accusé d’actes de violence, ni pour les événements de 2006 ni pour les événements de 2007. Selon la Cour, le requérant ne pouvait pas s’attendre à être puni d’une peine de plusieurs années de prison simplement pour avoir pris part de manière pacifique à deux manifestations. Deux juges ont émis une opinion minoritaire concordante, mettant l’accent sur le caractère disproportionné des dispositions pénales turques plutôt que sur leur caractère imprévisible.

A ce jour, la Suisse n’a été condamnée du chef d’une violation de l’article 11 de la Convention qu’à une seule reprise, mais pas en rapport avec la liberté de réunion. Il s’agissait de la dissolution d’une association prononcée judiciairement, sanction considérée comme disproportionnée par la Cour2 value="2">Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 11 octobre 2011 dans la cause Association Rhino et autres c. Suisse (2e section). Cependant, le Tribunal fédéral a sanctionné une loi genevoise qui prévoyait que l’organisateur d’une manifestation pouvait se voir interdire l’organisation de nouvelles manifestations pendant 1 à 5 ans, si la manifestation autorisée avait dégénéré même sans la faute de l’organisateur3 value="3">Arrêt du Tribunal fédéral du 10 juillet 2013 dans la cause 1C_225/2012 Communauté genevoise d’action syndicale et Parti socialiste genevois c. Grand Conseil genevois.. Dans son raisonnement, le Tribunal fédéral a pris en compte la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la liberté de manifester pacifiquement.

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Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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