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Le Prix mondial de l’alimentation ou de l’agrobusiness?

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Un prix peut en cacher un autre. Le 19 octobre 2017, soit trois jours après la Journée mondiale de l’alimentation du 16 octobre, le Prix mondial de l’alimentation, sponsorisé par les grands noms de l’agrobusiness, était attribué à Akinwumi Adesina, président de la Banque africaine de développement (BAD). L’ex-ministre de l’Agriculture et du Développement rural au Nigeria se voit ainsi récompensé pour avoir œuvré sans relâche à ouvrir toutes grandes les portes du continent africain aux grands groupes agrochimiques internationaux et à leurs produits afin de booster l’agriculture africaine.

Deux jours auparavant, le 17 octobre, c’est le Prix de la souveraineté alimentaire qui était attribué au Zimbabwe Small Holder Organic Farmers Forum (Forum des petits producteurs bio du Zimbabwe), qui se bat pour valoriser les semences locales en Afrique australe, et empêcher leur disparition. Ce prix, qui en est à sa 9e édition, a été créé par l’Alliance pour la souveraineté alimentaire (US Food Sovereignty Alliance, USFSA). La remise presque concomitante de ces deux prix incarne parfaitement la lutte qui prévaut actuellement sur le continent africain, entre deux types d’agriculture diamétralement opposés, un véritable combat de David contre Goliath.

En tant que Suisses, je ne suis pas sûre qu’il faille être fiers que des fleurons de notre économie, tels que Nestlé ou Syngenta, figurent aux côtés de Monsanto, Bayer (qui l’a entretemps racheté), CropScience, DuPont Pioneer, Walmart ou encore Archer Daniels Midland, pour sponsoriser ce prix présenté comme un «Prix Nobel de l’alimentation et de l’agriculture». Mais qui récompense avant tout des personnalités actives dans la promotion des intérêts des «agro-dealers» sur le continent africain, pour leur permettre de gagner ainsi de nouvelles parts de marché. Et mettre en œuvre un type d’agriculture qui a déjà démontré, en de nombreux autres points de la planète, à quel point il était dommageable pour la biodiversité. Comme pour les paysans, qui perdent leurs terres et se retrouvent, au mieux, en train de s’échiner pour des salaires de misère dans d’immenses plantations de palmier à huile, de maïs ou de canne à sucre.

En 2013, la remise du Prix mondial de l’alimentation à Syngenta et Monsanto (lequel avait donné 5 millions de dollars au Prix en 2008) avait été qualifiée de «farce». En 2015 et 2016, ce même prix a été octroyé à des scientifiques ayant développé un type de patate douce «biofortifiée», qui est le nouveau nom, plus acceptable, pour des cultures génétiquement modifiées. Ce type de recherches reçoit d’ailleurs un appui de la part des fondations Bill et Melinda Gates et Rockfeller, également sponsors du Prix mondial de l’alimentation. Et grands promoteurs des biotechnologies partout dans le monde, tout particulièrement sur le continent africain, qualifié d’ultimate border (frontière ultime) pour l’agrobusiness mondialisé.

Dans ce contexte, le lauréat 2017 n’a pas démérité. Sous sa houlette, la Banque africaine de développement a donné un véritable coup d’accélérateur à une transformation radicale de l’agriculture africaine qui passe par sa financiarisation, son industrialisation, un accès facilité des paysans aux semences hybrides et aux engrais et pesticides chimiques qui les accompagnent, ainsi qu’à des monocultures de denrées destinées au marché international. Cela n’empêche pas le document de s’intituler «Nourrir l’Afrique», et de miser à fond sur les investisseurs étrangers, qui y font des placements rentables.

Au détriment des paysans des pays africains, lesquels, dans des conditions très difficiles, sans aucun appui ni accompagnement, ont jusqu’à présent nourri ce continent. Et ce sont précisément ces communautés qui résistent au contrôle de leur système alimentaire par les multinationales et aux fausses solutions incarnées par les biotechnologies que l’USFSA a voulu récompenser par le Prix pour la souveraineté alimentaire.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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