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Marées

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Les gens des villes, des campagnes et des montagnes en sont stupéfaits: il y a des paysages qui changent quatre fois par jour! Des îles se retrouvent à sec, puis récupèrent leurs côtes quand le flot revient. Puis la mer repart, découvrant les kilomètres de fonds sous-marins qu’elle protégeait six heures plus tôt. Exposées pour quelques heures aux vents et au soleil, les algues sèchent. Des milliards de petits animaux marins, trop fragiles et qui ne se sont pas protégés à temps, meurent de déshydratation, ou gobés par les oiseaux. Leurs homologues aériens sont noyés ou engloutis par les poissons et crustacés quelques heures plus tard. La vie ne respecte pas la vie, qu’elle multiplie et détruit à profusion dans ces cycles d’une extrême violence. Chaque marée montante est un déluge meurtrier, chaque marée descendante une désertification cruelle, quatre fois par jour.

Face à ces catastrophes, on aurait pu penser que la vie abandonnerait, ou presque, comme dans les déserts. Or c’est le contraire: la zone des marées bat des records de biodiversité. Les espèces animales et végétales prospèrent sur cette frontière perméable, multipliant des adaptations incroyables pour survivre à ces changements permanents (quel oxymore!) du milieu. Les plantes se recouvrent d’une cuticule brillante, lisse. Une sorte d’habit de plongée qui leur permet d’affronter l’immersion comme l’échouage. Les coquillages se referment pour respirer en circuit fermé quelques heures, à l’abri de leurs valves ou de leur opercule. Poissons et crustacés se réfugient dans les mares permanentes ou sous les rochers humides, couverts de goémon.

Les marées sont des catastrophes, qui se répètent avec une régularité astronomique, prévisible, répertoriée dans les annuaires. Des catastrophes… permanentes! Elles dépendent des rotations de la lune, mais surtout de la configuration locale des côtes et des masses d’eau marine. Découvrant des kilomètres de bancs de sable ici, elles ne représentent que quelques centimètres de dénivelé sur le lac, guère plus en méditerranée. Mais, même là, elles constituent une zone franche riche de vies étonnantes. Comme si la sélection naturelle avait relevé un défi en multipliant les formes vivantes là où la survie semblait la plus difficile. Les êtres marins doivent résister à deux sécheresses quotidiennes, les êtres aériens à deux submersions. Beaucoup y laissent leur vie à chaque marée, constituant autant de ressources pour les prédateurs et nécrophages. Oiseaux, insectes et petits mammifères se précipitent sur les êtres marins échoués à marée basse, escargots, poissons et crustacés sur les noyés de la marée montante. La catastrophe des marées produit de la nourriture en abondance, dont se repaissent ses frontaliers!

Parmi ceux-ci, les humains ne sont pas les moindres. La ressource facile attire des foules de plus en plus considérables. Les pêcheurs à pied, jadis anecdotiques, sont de plus en plus ravageurs par leur multiplication et l’efficacité croissante de leurs techniques et gadgets. La réglementation des tailles des prises, des saisons de pêche et des techniques autorisées devait permettre les repeuplements d’espèces surexploitées. Mais elle est loin d’être toujours respectée. Des prises trop petites, des pêches en saison de reproduction, des instruments sophistiqués qui ne laissent pas leurs chances aux proies compromettent l’avenir des espèces de poissons, mollusques et crustacés les plus recherchées. Malgré leurs très grandes capacités de reproduction et de renouvellement des stocks, certaines, autrefois très abondantes, se raréfient et disparaissent ici ou là, du fait de la surpêche et du trafic illégal.

La zone des marées nous livre ainsi un modèle réduit d’une nature richissime saccagée par le nombre, l’avidité et l’irrespect des humains – sans même parler des marées noires. La disparition des ormeaux, des bars et des homards ne menace pas l’avenir du vivant, mais ce n’est que la maquette de ce que la surpêche intensive et sans scrupule fait aux océans ou l’agriculture intensive à la vie terrestre…

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lundi 8 janvier 2018

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