Chroniques

Sapiens

A rebrousse-poil

Treize milliards et demi d’années se sont écoulées depuis le big bang. La vie est apparue sur Terre il y a 3,8 milliards d’années. La plus lointaine trace que l’on ait d’un animal du genre homo remonte à 2,5 millions ans. Pas facile de se représenter de telles durées…

Alors, imaginez! Vous êtes au début d’un chemin: à cet endroit s’est produit le big bang. Vous commencez à marcher. Au bout de 800 mètres, un écriteau annonce: «Vous avez parcouru un milliard d’années. Un million d’années égale 80 cm». Vous retrouverez le même avertissement tous les 800 mètres.

Autour de vous, l’univers à ses débuts, un déchaînement d’énergies. Peu à peu apparaît la matière, les atomes se forment, s’agrègent. Passent les milliards d’années, vous marchez… Que de l’inerte… Lentement naissent les métaux, et enfin les étoiles, les planètes! Vous commencez sérieusement à fatiguer, lorsque vous apercevez au loin une pancarte différente des autres! «Km 7.760. Vous avez parcouru 9 milliards 700 millions d’années». Et dessous, en lettres de couleurs: «Apparition de la vie!» C’est à ce moment que des molécules commencent à se combiner pour former des bactéries, dont nous sommes les descendants!

Débute alors un joyeux foutoir: naissent les plantes, les animaux, d’abord formés d’une seule cellule, puis de plus en plus complexes. Les espèces apparaissent, prospèrent, meurent. Les années défilent, vous côtoyez des algues, des fougères, des dinosaures, des ratons laveurs. La fin du chemin se profile, vous commencez à distinguer, sur un panneau: «Km 10.800: aujourd’hui. Vous avez traversé 13 milliards 500 millions d’années». Vous vous retournez pour apprécier le chemin parcouru – tout de même plus de deux heures de marche – vous épongez votre front, commencez à songer à une bière bien méritée, lorsque vous avisez, par terre, juste avant le «aujourd’hui», un double mètre! Des bouts de papier sont posés à côté. Le premier, à deux mètres du temps présent, indique «Moins 2 millions 500 mille ans: apparition du genre homo». 40 cm plus loin: «Moins 2 millions: plusieurs espèces d’humains cohabitent, homo erectus, habilis, etc. Ils sont chasseurs cueilleurs». Il faut arriver à 176 cm pour trouver un nouveau jalon: «Moins 300 mille ans. Domestication du feu». Et ce n’est qu’au centimètre 184 qu’on parle enfin de nous: «Moins 200 mille ans: apparition de l’homo sapiens». 8 mm avant le bout du double mètre, deux indications: «Moins 10 000 ans: extinction des autres espèces d’homos. Sapiens reste seul sur terre», et, à la même hauteur: «Révolution agricole, nous devenons sédentaires». «L’apparition de l’écriture (moins 5 000)» se trouve à 4 mm de la fin, et le «Début de l’ère chrétienne (moins 2 000)» à 1,6 mm.

Pourquoi ce plongeon dans le passé? C’est que je viens de dévorer un pavé de 500 pages, Sapiens, une brève histoire de l’humanité, que ce livre est passionnant, et qu’il faut vous jeter dessus! D’abord il nous remet à notre place, minuscule sur l’échelle du temps. Il rappelle que d’autres espèces humaines ont partagé avec nous la planète avant de disparaître. Il relève que les sapiens, heureux chasseurs cueilleurs durant 190 000 ans, ne sont sédentaires que depuis 10 000 ans, et que la révolution agricole n’a pas forcément été qu’un progrès: elle les a obligés à travailler plus, elle a réduit la diversité de leur alimentation et a apporté avec elle épidémies et famines. Puis il nous fait voyager à travers les civilisations, les empires et les continents, jusqu’au triomphe du téléphone portable et des poulets en batterie, avant de se porter vers l’avenir. Passionnant, et souvent plein d’humour!

Pour vous mettre l’eau à la bouche, à propos de la manie que nous avons de nous projeter toujours plus loin (je cite, de mémoire): durant leur entraînement dans un désert des USA, les astronautes s’apprêtant à partir pour la lune rencontrèrent un vieil indien. Lorsqu’il apprit le but de leur mission, il leur dit que les esprits saints de sa tribu habitaient là-haut, et leur demanda s’il pouvait leur confier un message. Il fallait apprendre une phrase par cœur, dans la langue de la tribu, sans qu’on puisse leur en révéler le sens:  c’était un secret destiné aux seuls esprits. Les astronautes apprirent la phrase, mais, intrigués, finirent par la répéter à un traducteur. Celui-ci éclata de rire! Ce qu’ils étaient chargés de transmettre aux esprits de la lune, c’était: «Ne croyez pas un mot de ce qu’ils vous diront, ils sont venus voler vos terres!»
 

Opinions Chroniques Michel Bühler

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lundi 8 janvier 2018

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