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Une égalité en demi-teinte

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Ça y est, la répartition des dicastères du gouvernement vaudois est connue, la présidence assurée. Ce n’est certes pas aussi passionnant que la déferlante «En marche» chez nos voisins, mais cela mérite qu’on y prête quelque attention.

De prime abord, il y aurait de quoi se réjouir, un Conseil d’Etat à majorité féminine, et ce pour la deuxième législature consécutive! En outre, pour remplacer la sortante Anne-Catherine Lyon, la gauche n’a proposé que des candidatures féminines. On peut dire que c’est un premier pas vers une forme de «normalisation», dans le sens où ça ne fait pas nécessairement débat, en tout cas en ce qui concerne le remplacement d’une ministre. Pour redescendre sur terre, il suffit de regarder le législatif, où les femmes ne sont plus qu’un tiers. Ainsi, la composition du Conseil d’Etat, «c’est l’arbre qui cache la forêt», soulignait Delphine Oulevey, membre du comité de politiciennes.ch dans les colonnes du journal 24 heures, le 21 mai dernier.

Mais trêve de chiffres. Une entreprise communique le nombre de femmes et d’hommes dans son personnel. Les femmes sont plus nombreuses? Victoire, l’égalité est atteinte. Mais quand on y regarde de plus près: les femmes sont cantonnées à certaines tâches, occupent des postes plus précaires, sont dans des postes offrant moins de perspectives! Evidemment, la question ne se pose pas en ces termes à ce niveau de responsabilité politique. Les conseillères d’Etat ont les mêmes prérogatives que leurs homologues masculins, elles ont des responsabilités et des perspectives similaires. Mais quelque chose a tout de même attiré notre attention, quelque chose de très discret, presque insignifiant…

Allons voir du côté de la répartition et de l’organisation des dicastères. On le sait, c’est l’occasion de réattribuer les dossiers centraux, mais également, et c’est le cas à chaque fois, de déplacer divers dossiers, créant des assemblages pas toujours très intelligibles. Parfois, la construction semble tellement hétéroclite qu’il serait difficile à expliquer à une personne en visite en Suisse pourquoi une personne s’occupe des infrastructures (routes, trains et bateaux), mais aussi des crèches, ou pourquoi une autre en charge du territoire gère aussi l’égalité femmes-hommes. Il s’avère que ces «montages» sont le fruit de réflexions mêlant besoin de cohérence, intérêts personnels et, osons le dire, enjeux de pouvoir. Et c’est là qu’une deuxième lecture devient intéressante.

La réorganisation des dicastères nous laisse perplexes. Ainsi, la nouvelle venue Cesla Amarelle, hérite «tout naturellement» du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture. Mais celui-ci, le seul dont la cohérence semble avérée, a été «pillé» par ses collègues. Ainsi, son camarade de parti Pierre-Yves Maillard, qui, rappelons-le, ne souhaitait pas vraiment qu’elle siège à ses côtés, a mis la main sur l’Office des bourses d’études et supervisera le processus de transition école-apprentissage-emploi. Imaginer gérer la formation sans y intégrer un des enjeux les plus prégnants du moment n’a aucun sens. De même, amputer le Département de la formation du système de bourses frise l’aberration. La nouvelle ministre se retrouve avec un département moins cohérent et, surtout, privé de certains de ses dossiers forts. Ah, oui, dernière chose, les relations avec l’un des fleurons de la formation supérieure du canton, l’EPFL, ont été confiées à Philippe Leuba. Pour le volet culture, ce n’est guère mieux, puisque tous les grands dossiers, le Pôle muséal ou encore la réaffectation des surfaces libérées au Palais Rumine, devront être gérés en collaboration avec Pascal Broulis. Voilà pour le régime minceur subi par le département de la nouvelle arrivante!

Mais cela ne s’arrête pas là, la présidence du Conseil d’Etat, assurée désormais par une femme, continue à être tronquée d’un des volets le plus importants de la fonction, à savoir les relations extérieures. Mais elle gèrera la planification du Conseil d’Etat et organisera le suivi de ses activités, élaborera le programme de travail et l’ordre du jour des séances dudit Conseil, assurera la représentation de l’exécutif cantonal, coordonnera et supervisera la communication, développera l’information et la collaboration entre départements, etc. Une présidence dont la fonction perd du coup légèrement de sa superbe. On ne veut pas pinailler, mais ça ressemble légèrement à une bonne vieille division sexuelle du travail: les femmes à la planification, aux ordres du jour et à la représentation, les hommes à l’innovation et aux affaires «diplomatiques».

Eh oui, certains nous diront que nous ne sommes jamais satisfaites. Et c’est vrai, nous ne voulons pas de ce faux-semblant. Derrière l’apparente égalité du Conseil d’Etat vaudois, on retrouve les habituelles inégalités, où certains se partagent le gâteau. Ici, il s’agit en l’occurrence des deux poids lourds du Conseil d’Etat, qui depuis près de quinze ans se targuent de diriger à eux deux le canton. Une thématique est importante, permet une meilleure visibilité? pas de problème, ils la rattachent à leur département. Même si cela n’a pas véritablement de sens, qui s’en soucie? Finalement, on critique nos voisins français qui, d’une présidentielle à l’autre, se votent un roi. Dans le canton de Vaud, il y en a simplement deux et la loi salique est respectée!

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