Biobanques: des données à partager et à protéger
Le dernier jour de la session parlementaire de printemps 2017, Rebecca Ruiz dépose une motion: celle-ci demande la création d’une loi sur les biobanques. La conseillère nationale vaudoise fait valoir que ces collections de données et d’échantillons biologiques humains «gagnent rapidement en importance», mais que «le droit applicable présente des lacunes». Sa proposition a reçu le soutien de vingt-trois députés.
Le timing de cette intervention ne doit rien au hasard. Fin mars, une consultation sur un modèle de consentement général élaboré par l’Académie suisse des sciences et de l’association des commissions d’éthique Swissethics arrivait à échéance. Les patients hospitalisés qui signent un tel consentement autorisent l’utilisation de leurs données et échantillons pour des futurs projets de recherche encore inconnus. Les hôpitaux universitaires ont recours à ce type de documents depuis longtemps, mais chaque canton a ses spécificités. Le nouveau formulaire vise à uniformiser la démarche au plan national.
La situation inquiète les organisations de défense des patients. «Il n’est pas possible que des domaines aussi importants que la recherche biomédicale et le traitement des données et d’échantillons reposent sur une base juridique lacunaire», déclare Franziska Sprecher, professeur de droit à l’Université de Berne et membre du conseil de fondation de l’Organisation suisse des patients. La sécurité des données dans les hôpitaux est insuffisante et, en cas de fuite, rien n’est prévu pour protéger le patient, met-elle en garde.
Pour quelles raisons un consentement général revêt une telle importance pour la recherche biomédicale? «Si l’on veut faire avancer la médecine personnalisée, il faut pouvoir analyser les données d’un grand nombre de personnes», explique Vincent Mooser, responsable de la biobanque du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) qui rassemble des échantillons de sang. Vincent Mooser cite l’exemple de l’étude de cohorte CoLaus, lancée en 2003 à Lausanne, pour identifier les facteurs de risque cardiovasculaire. Le bilan est positif, avec la participation de 6000 patients, mais le CHUV doit coopérer avec d’autres établissements pour obtenir des résultats plus approfondis.
Le consentement général permet par ailleurs d’échanger des données à l’intérieur de la Suisse mais aussi avec des laboratoires étrangers. «Nous allons mener des recherches à une toute autre échelle, avance Vincent Mooser. Cela est indispensable si l’on souhaite rester compétitif au niveau international.» D’autres pays, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine ou l’Inde, utilisent le big data en médecine depuis longtemps déjà. Le chercheur souligne aussi que le consentement général n’est pas un chèque en blanc. «Pour chaque projet, les chercheurs doivent obtenir l’accord d’une commission d’éthique.»
Les Suisses ne se montrent pas réticents à partager leurs données pour la recherche. Environ trois quarts des patients du CHUV acceptent la démarche, même si leur génome complet se fait analyser: à ce jour, l’institution lausannoise a obtenu le consentement général de 27 000 personnes. A l’Hôpital universitaire de Bâle, le taux de participation est encore plus élevé. Pour Vincent Mooser, il est évident que les données et échantillons correspondants bénéficient des standards de sécurité les plus élevés. La Swiss Biobanking Platform, qui regroupe les grandes biobanques de Suisse, est également implantée au CHUV. Elle salue la motion de Rebecca Ruiz en faveur de la création d’une loi sur les biobanques. Pour l’heure, l’organisation suit la déclaration de Taipei adoptée en 2016 par l’Association médicale mondiale. Le document fixe les règles de base pour l’exploitation des biobanques. Franziska Sprecher voit dans cette adhésion un «signal fort», mais elle demande encore davantage: inclure la déclaration dans le code de déontologie des médecins.
*Journaliste, Olten. Paru dans Horizons n° 113, juin 2017, FNS, www.snf.ch/fr/