Chroniques

La virilité attendue au pouvoir

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Ça y est, cette fois la présidentielle française est derrière nous. Et si on a évité le pire, cette campagne aura laissé des traces. On espérait que le cas étasunien serait unique, mais peut-être faut-il se faire une raison et se dire que, désormais, dans la plupart des grandes démocraties occidentales, les élections présidentielles virent à la farce. Les partis traditionnels sont déboutés, le vote est dicté par la volonté de témoigner son ras-le-bol et par la peur (contre les immigré-e-s ou contre le FN). On ne choisit plus un-e candidat-e pour son programme (d’ailleurs, celui qui a remporté n’en a pas vraiment), on ne vote pas pour, mais contre…

Cette élection ne suscite que la joie amère d’avoir évité l’extrême-droite, mais l’entrée en fonction du nouveau président ne signera pas des lendemains qui chantent, puisque la France se réveille plus fracturée que jamais. Et dans ce marasme, que dire de la deuxième élection présidentielle qui a vu arriver une femme au second tour?

Dans la plupart des médias, Marine Le Pen a été traitée, et cela semble être une première qui justifie qu’on en parle, comme n’importe quel homme politique. Elle a avant tout été attaquée sur son programme, ses idées, sa filiation avec le parti fascisant de son père, ou encore sur ses «affaires». Mais faut-il donc que les femmes adhèrent aux idées les plus nauséabondes pour qu’on les traite enfin en figure politique?

Par ailleurs, la stratégie de Marine Le Pen a été celle de nombre de pionnières (c’est un constat, pas une marque d’admiration pour son «art de la guerre»): trouver une place, en essayant de faire oublier qu’elle est une femme, tout en jouant la féminité, voire le féminisme quand elle l’a jugé nécessaire. Ainsi, depuis longtemps, elle a arboré des pantalons, s’est présentée comme une personne indépendante et autonome, ne donnant que peu d’informations sur sa vie privée. Sa marque de fabrique assumée est son côté bulldozer, carré. Elle s’est construite comme l’«héritier» du parti (plus que la fille de…), avant d’être ­parricide, dans une guerre de pouvoir pour le trône. Cette posture lui a permis en partie d’être considérée comme un «homme» politique. Mais ne rêvons pas, comme toutes les pionnières, cette tentative de mobilité de genre lui est reprochée. Son manque de féminité est critiqué: trop carrée, pas ­assez élégante, ayant un sourire carnassier.

Elle joue donc la carte «femmes», tout d’abord en se présentant comme «féministe», puis en retravaillant son image. Personne n’est dupe, Marine Le Pen, comme toute une frange de l’extrême-droite européenne, prend en otage le féminisme à des fins racistes (l’UDC n’est d’ailleurs pas en reste). Elle emballe ainsi ses propos islamophobes d’un souci de liberté, d’émancipation féminine… Par ailleurs, elle apparaît au second tour, affinée, lissée, comme sur les photos de magazines. En jupe, elle laisse voir un peu de sa cuisse, ce qui lui sera immédiatement reproché. Jouer la féminité n’est pas acceptable non plus. Bref, elle n’a jamais «le bon corps au bon endroit». Et la difficulté à trouver une place illustre bien à quel point pour la France une femme présidente est encore impensable. Dans ce cas de figure, il faut s’en réjouir!

Mais le sexisme ne s’arrête pas là, Emmanuel Macron a, lui aussi fait les frais d’une société encore très normative. Le candidat «beau gosse» a dû tout au long des deux tours faire face aux attaques, commentaires, ricanements sur sa relation avec une épouse plus âgée que lui. Ce qui lui est reproché avant tout est de mettre en péril l’ordre normal des choses, qui veut que l’homme domine, et ce y compris en termes d’âge. En ayant une épouse clairement plus âgée, il contrevient à sa position de dominant. De là à penser qu’il ne pourrait pas être à la tête du pays, il n’y a qu’un pas.

D’ailleurs, c’est ce même non-respect de la position de dominant dans la hiérarchie de genre qui ont fait émerger les rumeurs d’homosexualité en début de campagne. Dans le contexte de sexisme et d’hétéronormativité ordinaire, en faire un homosexuel était une manière de nier sa virilité et de le déconsidérer comme candidat à un poste de pouvoir. Cela nous donne quelques indices sur ce qu’est censée être la virilité attendue au pouvoir…

2017 aura été une présidentielle morne, triste, qui questionne profondément la chose politique. Si les partis se délitent, si les idées se sclérosent, une chose semble bel et bien se maintenir: le patriarcat est plus que jamais dans la course. Sa force, c’est de se réinventer au fil des circonstances. Plutôt que de pleurer la disparition des grands partis, on se prend à rêver d’un autre ordre des choses. Qui sait si les présidentielles de 2022 pourraient redevenir politiquement intéressantes…

* Investigatrices en études genre.

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