Chroniques

Le racisme président

En coulisse

Difficile d’échapper au débat présidentiel qui secoue la France en ce moment. Les médias et les réseaux sociaux ne cessent d’en rappeler les enjeux. Pourtant, au delà de la nature particulièrement abjecte des projets de société respectifs des deux finalistes, on ne peut s’empêcher de ressentir une impression de dégoût et de déni des réalités devant tous les discours de campagne (premier tour compris). Si les candidats, des plus progressistes aux plus réactionnaires, ont axé leurs propositions sur la situation intérieure de la France et sa place dans le concert des nations à l’heure de la mondialisation, aucun n’a rappelé ce qui constitue une particularité de ce pays, son jardin secret peu ragoûtant, à savoir son rapport colonial et postcolonial avec les pays d’Afrique et avec les pays arabes.

Comme le rappelle l’excellent livre de l’historien James Barr Une ligne dans le sable, qui revient sur la genèse des accords Sykes-Picot, ce sont bien la rivalité coloniale franco-anglaise aux Proche et Moyen-Orient et la duplicité des puissances impérialistes face aux Arabes qui sont largement responsables des déséquilibres de cette région, dont les peuples syriens, irakiens, palestiniens et autres subissent aujourd’hui encore les conséquences. Face au «problème» des réfugiés, pas un des candidats pour rappeler la responsabilité historique de la France dans cette affaire. En ce qui concerne l’Afrique noire, silence radio aussi chez tous les candidats. Le continent africain n’a pas été cité la moindre seconde sous quelque aspect que ce soit.

Est-il besoin de rappeler qu’après avoir été un pays esclavagiste, la France pratiqua un colonialisme impitoyable, puis, une fois la décolonisation entamée, s’empressa de changer de méthode de domination en installant des dictateurs à sa botte pendant toute la seconde moitié du XXe siècle? Or cette situation, dans de nombreux pays, est toujours d’actualité! Togo, Cameroun, Gabon, Tchad et autres pays d’Afrique de l’Ouest continuent de subir l’oppression des régimes dictatoriaux soutenus par les réseaux gouvernementaux, militaires et services secrets français. Qui le dira? Qui le combattra? Ce qui constitue depuis longtemps une réalité connue de tout Africain semble appartenir au domaine du néant pour tout candidat, mais aussi pour tout citoyen et commentateur français.

Il suffit pourtant de prendre un taxi à Genève, Paris ou ailleurs conduit par un Africain de l’Ouest, d’interroger ce dernier sur son parcours de vie, pour tomber régulièrement sur le même type de destin: impossibilité de vivre une existence normale dans son pays entre misère matérielle et déni des droits démocratiques, départ pour l’Europe, galère. Et enfin cette conclusion identique: «Nos régimes tiennent grâce à la France.»

A-t-on entendu une quelconque profession de foi de la part des candidats à ce propos? A-t-on lu la moindre analyse dans Libération ou Le Monde de la part des éditocrates de service? A-t-on ne serait-ce qu’effleuré le sujet au cours de ces interminables émissions politiques à la télévision ou à la radio? Les commentateurs internationaux eux-mêmes ont-ils fait allusion à la violence impériale faite aujourd’hui comme hier aux peuples africains? Poser la question, c’est y répondre!

Alors on a beau jeu de pousser des cris d’orfraie face aux succès de l’héritière de l’entreprise familiale national-brunâtre, d’appeler à se réunir autour de valeurs communes, de rappeler les fondamentaux de la démocratie et de l’antiracisme devant la montée du péril lepéniste. Le racisme est, lui, intégré de manière innée dans tout le corps politique, médiatique et citoyen. La somme de l’inconscient collectif est chargée.

Par exemple encore: qui pour parler d’Haïti, de la rançon inique soutirée par les colons français aux esclaves affranchis qui empêcha tout développement de l’île et que la France refuse de rendre? Qui pour parler des siècles d’esclavage pour lesquels la France officielle (comme le reste de l’Occident) refuse de faire réparation ? Le racisme fait partie de l’ADN du corps politique français! L’investiguer, c’est mettre à bas toute la vacuité et le subterfuge du pseudo-débat démocratique; investiguer le racisme, c’est aussi mettre en péril la formidable manne économique qu’il permet!

* Auteur metteur en scène; reprise jusqu’au 28 mai: Calvin, un monologue, Chapelle Saint-Léger, Genève, www.dominiqueziegler.com

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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