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Un accident du travail mérite une enquête sérieuse et diligente

Chronique des droits humains

Ce mardi, la Cour européenne des droits de l’homme a considéré par six voix contre une que la Lituanie avait violé l’article 3 de la Convention, qui prescrit que nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, dans le cadre d’un accident du travail1 value="1">Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 11 avril 2017 dans la cause Mazukna c. Lituanie (4ème section)..

Le requérant était un soudeur qui, en avril 2007, alors qu’il travaillait sur un chantier de construction, tomba à terre, d’une hauteur de deux mètres, à la suite de l’effondrement de l’échafaudage sur lequel il se tenait avec deux autres ouvriers. Il est tombé sur le dos et sa tête a frappé une surface en béton, brisant son casque en morceaux. Un de ses collègues et un outil en métal lui sont tombés dessus. Le requérant a perdu connaissance. Il soutient que, pendant qu’il était inconscient, il a été déplacé sur ordre de son employeur et que les traces de l’accident ont été effacées. Une ambulance n’a été appelée qu’une demi-heure plus tard. Les autres ­ouvriers n’ont subi que des lésions ­mineures.

Le site de l’accident a été examiné le même jour par un inspecteur du travail. Ce dernier a noté que l’échafaudage était intact et qu’il n’y avait plus d’ouvriers sur le site. L’inspecteur a parlé avec le responsable du chantier, qui n’a rien pu lui dire car il était ailleurs lors de l’accident, puis avec la personne en charge de la sécurité au travail de la société constructrice qui lui a affirmé que, sur la base des premiers examens médicaux, le requérant ne souffrait pas de lésions majeures. L’inspecteur a alors décidé qu’il n’y aurait pas d’autres investigations sur les circonstances de l’accident.

Un mois et demi plus tard, un autre inspecteur a examiné les causes de l’accident et a conclu que le requérant était tombé de l’échafaudage en raison de sa propre imprudence. Le requérant a contesté cette conclusion et, deux mois plus tard, l’inspectorat du travail a conclu que l’accident avait été causé par une organisation inappropriée du travail dangereux, en particulier parce que l’échafaudage ne respectait pas les exigences de sécurité applicables.

Le requérant a alors déposé plainte. Dans le cadre de l’instruction préliminaire, un rapport médical a fait état d’une grande coupure sur la tête, le visage et l’oreille droite, ainsi que des fractures des os de son visage et d’une contusion sur la poitrine.

L’enquête préliminaire sur cet accident a pris trois ans et sept mois. Elle a été abandonnée à trois reprises, les autorités de poursuite concluant que l’accident avait été causé par la négligence des ouvriers. Cependant, ces décisions ont été infirmées par les tribunaux, qui ont estimé que les conclusions du procureur étaient spéculatives et que ce dernier avait ignoré les constatations de l’inspection du travail et de l’expert en médecine légale, selon lesquelles l’accident avait été causé par le non-respect par l’employeur des règles en matière de sécurité au travail.

L’affaire a été renvoyée devant le tribunal au mois d’avril 2011 et le superviseur du requérant mis en examen pour négligence. Cependant, après des renvois répétés en raison de l’absence de certains témoins et de la maladie de l’accusé, l’affaire s’est terminée une année plus tard pour forclusion [extinction de l’action en justice pour des raisons de délais, ndlr].

La Coura constaté qu’en raison de cet accident du travail, le requérant a été défiguré de manière définitive. Cette atteinte était si grave que cela entrait dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. La Cour rappelle alors que la Convention exige que les autorités mènent une enquête officielle efficace, même si le mauvais traitement émane de particuliers. En l’occurrence, les particularités de la procédure, notamment l’absence de suspension du délai de prescription lors de l’ajournement de l’affaire, ont privé le requérant de la possibilité de faire examiner par un tribunal la question de la responsabilité de son employeur. Il n’y a pas eu d’enquête effective sur les circonstances de l’accident au cours duquel le requérant a été blessé et, donc, violation de l’article 3 de la Convention sous l’angle de la procédure.

La Coura déjà été amenée à examiner l’incidence de la prescription sur l’exercice des droits garantis par la Convention. Elle a notamment condamné la Suisse en 2014 pour violation de l’article 6 qui garantit l’accès à un tribunal, en raison de l’impossibilité d’intenter un procès dû à une maladie professionnelle qui se déclare bien après la fin de l’exposition à la substance dangereuse (l’amiante)2 value="2">Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 11 mars 2014 dans la cause Moor c. Suisse (2ème section)..

Notes[+]

* Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Chroniques Pierre-Yves Bosshard

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