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Non à une égalité par le bas!

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Après des effets d’annonces de tout bord, des cris d’orfraie et des débats controversés, le projet de prévoyance professionnelle 2020 – dit projet Berset – vient de passer la rampe des chambres fédérales. Une réforme présentée comme indispensable pour sauver le système. Si les représentant-e-s de l’économie estimaient le projet trop généreux pour les salarié-e-s, la gauche se montrait un peu, beaucoup, fâchée avec le relèvement de l’âge de la retraite des femmes et la diminution du taux de conversion du 2e pilier à 6%. Mais, compromis helvétique oblige, le paquet a été adopté dans le délai imparti. Pünktlich! Et les faîtières syndicales, majoritairement représentées par des hommes, viennent de soutenir le projet. Tip top!

Disons-le tout haut. En tant que femmes, y’en a marre d’être prises pour des idiotes. Augmenter l’âge de la retraite des femmes n’a rien à voir avec l’égalité, ou alors avec une égalité par le bas, la seule qui semble véritablement progresser. C’est un principe économique qui guide cette réforme. Un rapide calcul s’impose: travailler une année de plus revient à mettre dans la caisse AVS près de 1,3 milliard de francs par an. La réforme, présentée de manière démagogique, devrait permettre à une caissière de toucher une rente plus élevée. Mais seules les nouvelles rentes AVS seront augmentées de 70 francs. Des cacahuètes au regard de la baisse du taux de conversion que comprend le projet Berset et qui représentera une diminution d’environ 400 francs de la rente mensuelle. En outre, ce bonus vaut aussi pour les hommes, dont l’âge de la retraite n’est pas modifié et dont les salaires restent tendanciellement plus élevés que ceux des femmes. Si pour les bas revenus, toute augmentation est la bienvenue, faire passer ça pour une compensation est inadmissible en regard de la hausse de l’âge de la retraite.

Une piqûre de rappel s’impose: la 10e révision AVS avait déjà été présentée comme égalitaire. En contrepartie du splitting, du bonus pour tâches d’assistance et du bonus éducatif, on a nous enfilé le relèvement de l’âge de la retraite des femmes de 62 à 64 ans. Egalité? Seules les femmes qui viennent de prendre leur retraite connaissent l’égalité dans l’AVS au niveau du montant de la rente touchée. En effet, le 1er pilier est gouverné par la solidarité et l’égalité entre femmes et hommes. Mais ce n’est pas le cas du 2e pilier. Les chiffres de l’OFAS publiés l’été dernier sont là pour nous le rappeler: les rentes des femmes sont globalement inférieures de 37% à celles des hommes. Et c’est le 2e pilier qui crée cette énorme disparité, puisque la rente moyenne des femmes y est de 67% inférieure à celle des hommes. Aujourd’hui, moins de six femmes sur dix sont affiliées au 2e pilier et à peine deux sur dix ont un 3e pilier! Le projet Berset ne renforce pas vraiment le 1er pilier et réduit le niveau des rentes du 2e.

Mesdames, vous voulez l’égalité? Eh bien travaillez une année de plus, comme les hommes! C’est oublier un peu vite les inégalités persistantes en matière de travail rémunéré et non rémunéré. Les millions d’heures de travail domestique effectuées au cours de sa vie, et ce gratuitement! C’est oublier les inégalités de salaire. Quoi, vous en êtes encore là? Si vous ne gagnez pas autant que vos collègues masculins, c’est parce que vous négociez moins bien vos salaires, que vous choisissez de travailler à temps partiel, mais aussi parce que vous manquez d’ambition… C’est probablement pour ces mêmes raisons, d’abnégation et de modestie que nous avons attendu 1971 pour le droit de vote, 2005 pour une assurance-maternité fédérale, et que nous devrons attendre les calendes grecques pour l’égalité salariale.

Y’en a marre des compromis sur le dos des femmes et d’une pseudo égalité. Le projet Berset revient à faire endosser aux seules femmes la quasi-totalité de l’assainissement du système des retraites. Nous ne sommes pas d’accord avec les décideurs politiques, économiques et syndicaux qui, à grand renfort de prévisions catastrophistes, nous demandent une fois de plus de sacrifier un an de notre vie et beaucoup d’argent pour contribuer au financement d’un système soi-disant en péril. Si réforme il doit y avoir, elle doit viser à renforcer le 1er pilier. Elle ne doit pas répondre aux intérêts des assureurs et autres gestionnaires du 2e pilier, qui hurlent continuellement au loup pour préserver leur juteux business.

Quelle consternation de voir que le Parti socialiste va rechercher d’éminentes membres pour défendre une réforme qui est tout sauf sociale. Ne nous laissons pas berner et mobilisons-nous en faveur de l’AVS, qui assure le dispositif le plus égalitaire, en particulier pour les retraitées les moins fortunées. En 2004, la mobilisation féministe a porté ses fruits, puisqu’elle a permis d’éviter une nouvelle hausse de l’âge de la retraite des femmes. Aujourd’hui, la mobilisation des femmes et des hommes reste, une fois de plus, décisive!

* Investigatrices en études genre.

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