Chroniques

Zoom sur le commerce de détail

(Re)penser l'économie

Chaque fois qu’il est question d’élargir les heures d’ouverture des magasins, les représentants patronaux de la branche du commerce de détail nous affirment que cela permettra de créer des emplois et de faire face à la concurrence de la France voisine. Bien entendu ce type de proposition se pare de la défense du petit commerce. Il est donc intéressant d’analyser l’évolution de cette branche au cours des trente dernières années qui ont vu les heures d’ouverture s’élargir.

A Genève, le nombre d’entreprises tous secteurs économiques confondus a progressé entre 1985 et 2014 de plus de 88% et le nombre d’emplois de près de 27%1 value="1">Les données à la base de cet article proviennent de l’Office cantonal de la statistique.. En revanche, et sur cette période, le nombre de commerces de détail a diminué d’environ 12% et les emplois qui leur sont liés d’un peu plus de 10%. Une première remarque s’impose: ni le nombre d’entreprises ni le nombre d’emplois n’ont suivi l’évolution de l’économie genevoise. Ce résultat peut être mis, en partie du moins, sur la concurrence exercée dans le commerce de détail par les magasins de France voisine en raison du différentiel de pouvoir d’achat résultant de la force du franc. Sur ce point, il faut cependant remarquer qu’en 1985, le pouvoir d’achat du franc suisse au regard du franc français était bien plus élevé qu’aujourd’hui avec l’euro. Ce facteur n’apparaît dès lors pas essentiel dans cette évolution.

Pour tenter de trouver une explication, il est nécessaire d’analyser les changements intervenus au sein même de la branche. Si nous examinons l’évolution des emplois et des établissements selon la taille de ces derniers, nous observons des modifications intéressantes. Tout d’abord, les tout petits commerces de quatre emplois et moins constituent toujours près de trois quarts des établissements (74,5% en 1985 et 77,7% en 2014). Ceux-ci regroupent cependant moins de 30% des emplois (25% en 1985 et 29% en 2014). A l’autre extrémité, les commerces de plus de 250 emplois ne représentaient que 0,3% des établissements en 1985 mais près de 20% des emplois. En 2014, les deux entreprises de cette catégorie ne constituent plus que 0,06% des magasins et 5,4% des emplois alors qu’en 1985 dix commerces rassemblaient près de 20% des emplois.

Ces données montrent qu’il s’est produit une concentration très importante des grands commerces de détail accompagnée d’une baisse significative des emplois dans ces établissements. Pour l’ensemble de la branche, nous constatons une diminution de la moyenne des emplois: si en 1985 on comptait une moyenne de 6 emplois par commerce, en 2014 ce n’était plus que 4,9 emplois.

Résumons-nous. En trente ans, le commerce de détail genevois a vu le nombre d’entreprises et d’emplois diminuer contrairement à l’ensemble de l’économie genevoise. Cette baisse ne peut être imputée à la seule concurrence française résultant du franc fort puisque ce phénomène est présent depuis très longtemps. La concentration des grands commerces ne semble pas s’être effectuée au détriment des petits commerces mais au sein des entreprises de même catégorie puisque la part relative des petits commerces et de leurs emplois a progressé. En revanche, comme nous ne disposons pas des données relatives au chiffre d’affaires du commerce de détail selon leur taille, nous ne pouvons pas savoir si nous avons assisté pendant ces trente ans à des transferts de part de marché entre grands et petits commerces.

Dernier élément: la nature des petits commerces s’est modifiée pendant cette période. Certains types de commerce ont diminué, voire disparu, alors que d’autres ont émergé. On constate par exemple la baisse du nombre de boucheries et la forte augmentation des épiceries de dépannage ou encore des magasins liés à l’informatique ou aux télécommunications en relation avec la mise à disposition de nouveaux produits. On le voit, les heures d’ouverture des magasins ne semblent pas jouer de rôle dans l’évolution du commerce de détail. Bien au contraire, la grande majorité du commerce de détail, constituée de petits magasins avec peu d’emplois, aurait de la peine à assurer des heures d’ouverture encore prolongées.

Notes[+]

Bernard Clerc est membre de SolidaritéS, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

Chronique liée

(Re)penser l'économie

lundi 8 janvier 2018

Connexion