Chroniques

Petit plaisir entre deux angoisses

En coulisse

On ne va pas se le cacher; la chute de François Fillon représente une éclaircie bienvenue dans le brouillard politique de ce début d’année. L’homme s’est illustré par son mépris total des peuples africains, arabes, asiatiques et autres, en défendant la colonisation avec un aplomb digne des plus grands révisionnistes. «La France n’est pas coupable d’avoir voulu partager sa culture», assenait le candidat à la présidentielle il y a peu, bien décidé à refuser toute forme de repentance ou d’analyse un tant soit peu objective sur le passé colonial de la France. Les habitants d’Afrique noire, du Maghreb, de Syrie, d’Haïti, ou des territoires de l’Indochine d’antan apprécieront, comme les descendants d’esclaves aux Antilles, les Kanaks et autres peuples aux droits bafoués par le racisme étatique français au cours des cinq derniers siècles.

Pourtant, ce n’est pas sur cette scandaleuse assertion que le chantre du catholicisme bon teint est tombé, mais sur une classique affaire de népotisme et d’utilisation abusive des biens publics, un peu à la manière d’Al Capone qui termina sa vie en prison, non pas pour ses crimes et trafics, mais pour avoir falsifié sa déclaration d’impôts. On en tirera la conclusion que tricher au sein du monde blanc est plus grave que nier des génocides, mais on ne boudera pas son plaisir pour autant! On peut même se plaire à imaginer que, dans un lointain village africain, un sorcier puissant range son effigie de François Fillon bardée d’aiguilles avec le sourire du devoir accompli! Enfin, nec plus ultra, deux autres politiciens français, adeptes décomplexés du «white power», Nicolas «Rolex» Sarkozy et Manuel «El blanco» Valls, prennent aussi le chemin d’une sortie qu’on espère définitive.

Il demeure que le climat politique actuel n’est pas bon: de l’UDC à Marine Le Pen, en passant par Poutine et le très inquiétant Trump, les forces politiques dominantes se caractérisent par leur folie nationaliste, et leur utilisation du bouc émissaire comme point déterminant de leur programme. Le XXIe siècle se définit par une régression terrible sur le plan de la proposition intellectuelle et politique. Comment en est-on arrivé là? se demande toute personne un tant soit peu sensée. Et surtout pourquoi le camp progressiste est-il laminé à ce point sur pratiquement toute la surface du globe? L’humanité est-elle condamnée à subir éternellement les mêmes démons? Pourquoi les sirènes du racisme et de la violence sont-elles plus séduisantes que des discours constructifs et pacifistes?

Risquons-nous à observer rapidement sur quels échecs politiques pousse le renouveau fascisant. D’abord celui du système libéral qui, sous couvert de dynamisme et d’opportunités pour chacun, ne fait que reproduire l’antique système de classes. L’échec du système pousse paradoxalement ses représentants à proposer encore plus de brutalité dans les discours et programmes – on l’a vu avec Fillon ou Trump – dans une sorte de fuite en avant mortifère. L’aspect répugnant de leurs propos se teinte parfois d’un vernis surréaliste puisque, pour se vêtir de leurs nouveaux oripeaux extrême droitiers, les politiciens capitalistes se déclarent désormais tous «antisystème»!

Autre terreau fertile du retour de la peste brune: l’échec des régimes dits de gauche. Les crimes du pseudo-communisme à la sauce soviétique ou chinoise ont dégoûté pour longtemps l’humanité de se relancer dans un projet de rupture radicale d’inspiration égalitaire. En Europe de l’Ouest, la trahison de tous les idéaux originels du socialisme par les mouvements sociaux-démocrates a aussi durablement brouillé les pistes.

Enfin l’autoritarisme et la corruption de la plupart des régimes du tiers-monde ont généré des formes de contestation violente qui ajoutent au chaos mondial. Dans cette dernière affaire, l’impérialisme reste un facteur de déstabilisation majeure, une donnée primordiale pour comprendre et résoudre les troubles des pays arabes ou africains, même si, en Occident, nombre d’intellectuels de pacotille, qu’ils soient libéraux droitiers ou pseudo laïcards socialisants, entendent, dans une logique révisionniste, faire porter la responsabilité aux seules forces locales des pays du Sud.

Quant à nous, les artistes, les gens de culture, nous avons aussi notre responsabilité dans ce marasme global, en ayant laissé trop souvent l’édulcoration du propos et le snobisme formel prendre le dessus dans les arts vivants, visuels ou littéraires au détriment du contenu, de l’adresse populaire, de la provocation et de l’analyse acérée des travers humains. Paradoxalement, la situation devient tellement inquiétante qu’elle peut provoquer le réveil dans les arts comme dans la société civile, comme l’attestent le renouveau de la parole politique dans les arts (avec une croissante et réjouissante composante féministe radicale antiraciste) ainsi que les manifestations spontanées de nombreux citoyen-ne-s, aux Etats-Unis ou ailleurs, contre les abjects décrets de Trump.

Gardons donc l’espoir et savourons notre plaisir devant les rebondissements du feuilleton Fillon, tout en continuant à chercher le remède de la malédiction éternelle de l’humanité face au pouvoir.

* Auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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