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Colibri

A rebrousse-poil

A Ouahigouya, dans le nord du Burkina Faso, les locaux de la radio communautaire «La Voix du paysan» occupent un petit bâtiment gris, au fond d’une grande cour de sable rouge. Au milieu de celle-ci, une haute antenne diffuse dans un rayon de cent kilomètres des conseils aux cultivateurs, des recommandations concernant l’hygiène et la santé, toutes les informations utiles aux femmes et aux hommes de cette vaste région semi-désertique. La radio, qui touche les villages les plus éloignés, est un moyen de communication essentiel dans cette zone du Sahel.

A la porte du studio, un écriteau planté devant «l’arbre Frank Musy» rappelle le nom de l’un de ses fondateurs.

Frank Musy: journaliste, animateur à la Radio romande, il était tombé amoureux de cette petite ville et de ses habitants. Ayant coutume d’agir «au ras des pâquerettes», il s’était démené pendant huit ans pour équiper et contribuer à faire vivre La Voix du paysan. Une quantité de matériel d’enregistrement et de diffusion, encore en parfait état mais promis chez nous à la casse, a ainsi trouvé une deuxième vie à Ouahigouya. Après la disparition de Frank, en 2004, ses amis ont fondé l’association «Tombouctou 53 jours» pour perpétuer son action.

Aide technique, acheminement de véhicules et d’équipements, soutien sur place à des communautés paysannes, Tombouctou 53 jours œuvre modestement, concrètement, bénévolement.

En 2014, c’est le fameux «Zèbre» de Jean-Marc Richard qui a été convoyé et offert à La Voix du paysan. A l’automne dernier, un technicien de la Radio romande a consacré ses vacances à venir faire l’inventaire des besoins de ses collègues burkinabés. Actuellement, l’association finance aussi des puits, des latrines, soutient des maraîchages.

Au début de janvier, nous étions six copains à prendre la route à Tolochenaz. Des trois camionnettes de vingt ans d’âge données par l’entreprise Friderici, deux étaient destinées à «Burkina vert», un important groupement de paysans. La troisième, bourrée comme les autres de matériel médical et de sonorisation, de vêtements, d’outillage allait, à côté du Zèbre, étoffer le petit parc de véhicules de «La Voix du paysan, la radio qui vous écoute».

La traversée de la Méditerranée, trois jours bloqués dans la zone douanière de Tanger à espérer le feu vert d’un fonctionnaire. Puis six mille kilomètres en quinze jours sur des routes souvent défoncées, encombrées de camions aux chargements incroyables, où le sable poussé par le vent peut former des congères. Pas le temps, hélas, de découvrir en profondeur les pays traversés. On a entrevu un Maroc qui semble vivre un boom économique étonnant, le Sahara occidental aux étendues désolées, aux interminables falaises rouges bordant l’Atlantique. Aux portes de la sévère Mauritanie, on a partagé le désespoir du Valaisan de l’équipe, contraint de vider sur le bord du talus ses ultimes bouteilles de fendant. On a retrouvé plus bas l’exubérance du Sénégal, puis le Mali où les mesures de sécurité sont renforcées.

L’entrée dans les villes à la nuit tombée, avec le tourbillon de centaines de petites motos aux phares aveuglants, la fatigue, la peur de heurter dans la noirceur un piéton ou un cycliste, puis les longues attentes à chaque douane, où le policier de service demande son petit cadeau… tout cela est balayé le jour de notre arrivée à Ouahigouya, saluée par les tamtams, les chants et les danses.

Les camionnettes, vétustes en Suisse, paraissent ici flambant neuves. Le stérilisateur donné par une dermatologue de Grandson a été remis au Docteur Zala, un saint qui lutte inlassablement contre le noma. Le matériel de sonorisation permettra à La Voix du paysan d’étendre sa mission d’éducation et d’information. Les puits que nous avons financés sont en voie d’achèvement. Les latrines, qui faisaient défaut à «Sauvons le reste», une ONG qui prend soin de ces pauvres parmi les pauvres que sont ici les malades mentaux, sont opérationnelles.

Aux côtés de dizaines d’autres organisations qui travaillent dans ces pays, Tombouctou 53 jours et ses bénévoles ne prétendent pas «sauver l’Afrique», non! Simplement, comme le colibri qui apporte sa goutte d’eau pour éteindre l’incendie, nous tentons de faire notre part.

* De retour du Burkina Faso. Nouveau CD: «La Vague», distrib. Disques Office, ou à commander sur www.michelbuhler.com

Opinions Chroniques Michel Bühler

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