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RIE III: «oui» ou l’apocalypse. Pas moins

L'Impoligraphe

Dans la brochure adressée à chaque citoyen et chaque citoyenne de notre beau pays, pour la votation fédérale du 12 février sur la réforme de l’imposition des entreprises, le Conseil fédéral nous prédit que cette réforme, dans la version (alourdie pour les caisses publiques) votée par le parlement fédéral, coûtera 1,1 milliard de francs à la Confédération. Mais oublie de nous annoncer combien elle coûtera aux cantons et aux communes, et d’entre les communes, aux villes. Faut dire que les villes, elles n’ont pas la cote, dans les hautes sphères fédérales. D’abord, ce sont des villes et on est un peuple de bergers de montagne. Si, si. Même si 80% de la population vit dans les villes. Des bergers des villes, sûrement. Ensuite, parce que les villes, en général, ont le mauvais goût de voter et d’élire à gauche.

Que fait la Confédération quand ses ressources financières ne suffisent pas à couvrir ses charges? Elle transfère des charges sur les cantons. Que font les cantons quand leurs ressources financières ne suffisent pas à couvrir leurs charges? Ils transfèrent des charges sur les communes (tout en se livrant avec les cantons voisins à une concurrence fiscale qui les conduit tous à réduire encore leurs ressources). Et que font les communes quand leurs ressources financières ne suffisent plus à couvrir leurs charges parce que les cantons sur qui la Confédération a transféré des charges ont eux-mêmes transféré des charges sur les communes? Euh… les communes n’ont aucune collectivité locale à qui transférer leurs charges. Elles les transfèrent donc sur leurs habitants, et sur leur tissu associatif. On appelle ça des restrictions budgétaires et des hausses de taxes ou d’impôts. La commune, c’est le premier échelon institutionnel quand on part d’en-bas et, aussi paradoxal que cela semble dans une démocratie, l’en-bas, c’est le peuple. Le fameux peuple souverain. Sur qui tout l’édifice institutionnel d’une démocratie est supposé être construit et reposer. Et en effet, il s’y repose. Et dans le cas de la RIE III (tant fédérale que cantonale d’ailleurs), il va s’y reposer. Lourdement (le projet fédéral ne prévoit d’ailleurs aucune compensation de leurs pertes pour les communes, et d’entre elles les villes). A moins qu’on soit assez nombreux le mois prochain pour renvoyer le colis piégé à son expéditeur.

Prenez l’école, par exemple (mais on peut tout aussi prendre comme exemples la politique sociale, ou la sécurité, ou la politique culturelle, ou le sport, ou la solidarité internationale – euh… non, pas la solidarité internationale, ça ne mobilise que nous): à la fin de l’année, les cantons auront coupé un milliard de francs dans leurs budgets scolaires. A Genève, par exemple, le canton veut refiler aux communes la charge des bâtiments des cycles d’orientation (les communes ont déjà celle des écoles primaires). Le canton de Lucerne, lui, a supprimé une semaine de cours pour la transformer en une semaine de vacances. Pas pour que les élèves ou les enseignants se reposent: pour faire des économies.

Et puis, on nous assure qu’il faut voter la RIE III telle qu’on nous la propose, parce qu’il n’y a pas d’alternative à cette version, «pas de plan B». Alors qu’on nous a expliqué en long, en large et surtout en travers que, de toute façon, il va falloir égaliser les taux d’imposition des entreprises parce que l’OCDE et l’Union européenne l’exigent (on ne manquera pas de noter au passage la génuflexion respectueuse de l’UDC et de ses satellites locaux, genre MCG, devant ce qu’ils dénoncent habituellement comme un insupportable diktat étranger). Et on l’a bien comprise, l’explication: si la RIE III, telle qu’elle nous est proposée, est refusée, le Conseil fédéral et les Chambres devront forcément nous en proposer une autre version, plus acceptable par le bon peuple, puisqu’on n’y coupera pas, à une réforme de l’imposition des entreprises. Il y a donc bien un plan B. Et des plans C, D, E, ad libitum jusqu’à Z s’il le faut.

N’empêche, on se dit qu’on a bien fait de garder au frais les cartes de rationnement de nos parents. Elles ont peut-être 75 ans, mais comme on nous promet quasiment le retour au rationnement (les bons pour les pauvres, c’est fait), au Plan Wahlen et au Réduit national si la RIE III est refusée, vaut mieux prendre ses précautions… Car, citoyennes et citoyens qui avez ou allez voter «non», irresponsables que vous êtes, craignez le courroux des dieux de l’Economie et du Marché: si vous êtes majoritaires, c’est la fin des haricots (secs), toutes les multinationales quitteront la Suisse (en bateau pour Evian, Constance et Campione), les PME qui travaillent pour elles feront toutes faillite, au moins 200 000 emplois seront supprimés, dont 50 000 rien qu’à Genève, Ueli Maurer lancera un programme d’économies de plusieurs milliards de francs et le PIB de la Suisse tombera au-dessous de celui de la Somalie. C’est comme on vous le dit: le Jour du Jugement, pas moins. Mais non, on se fout pas de la gueule du monde, mais non.

Comme disait un publicitaire à propos de la fameuse affiche crypto-udéciste sur la naturalisation des étrangères et étrangers de la «troisième génération» (mais oui, vous savez, l’affiche qui vous annonce, islamiste en niqab à l’appui, que si on vote «oui» on va naturaliser massivement des djihadistes), ce genre de campagne n’est pas «destinée aux gens intelligents». Et celle qui nous annonce l’apocalypse et la venue de la Bête si on vote «non», elle est destinée à qui?

De là en en déduire qu’on prend le citoyen lambda pour un con, il n’y a même pas un pas. Juste un petit trépignement.

Pascal Holenweg, Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

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lundi 8 janvier 2018

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