Chroniques

Légitime défense

Mauvais genre

Deux mille dix-sept commence plutôt bien; avec notamment deux sorties de prison: celle de Michael Slager le 4 janvier; celle de Jacqueline Sauvage le 5. Le parallèle s’impose: dans les deux cas, des coups de fusil tirés dans le dos, l’invocation de la légitime défense, et la libération.

Slager, tout d’abord. On s’en souvient peut-être, c’est ce policier américain qui avait abattu un Noir, à North Charleston, en Caroline du Sud, après que celui-ci avait commis une infraction au code de la route. L’automobiliste avait eu la malencontreuse idée de prendre la fuite en courant: cela vaut bien huit balles dans la peau. Au moins il ne récidivera pas.

Car on n’est plus sûr de rien. Un Noir qui détale, c’est tout de même inquiétant. Un Palestinien à terre, grièvement blessé – ça l’est tout autant sinon plus. A Hébron, il y a près d’un an, la main d’Elor Azaria n’a pourtant pas tremblé: ce soldat franco-israélien a logé une balle dans la tête de l’agresseur au couteau. Légitime défense, là encore. Mais les tribunaux adorent chercher la petite bête: ce même 4 janvier où Slager retrouvait la liberté, la justice militaire israélienne déclarait Azaria coupable d’homicide. Qu’on se rassure: s’il devait être vraiment condamné, il y a toute chance pour que le président Reuven Rivlin lui accorde sa grâce; Netanyahou et bien d’autres l’y ont déjà instamment invité.

Rivlin devrait d’ailleurs prendre exemple sur son homologue français. François Hollande est en effet un expert dans le recours à la notion de «légitime défense», aussi bien pour manifester sa clémence que pour afficher une martiale détermination. On a pu en avoir un double aperçu le même jour, ce 5 janvier où d’une part la grâce présidentielle ouvrait les portes de la liberté à Jacqueline Sauvage, et où d’autre part le journal Le Monde consacrait quelques pages à la politique audacieuse d’un chef d’Etat qu’on a tendance à trouver plutôt pâlot, mais qui, dès qu’il s’agit de faire éliminer des djihadistes réels ou supposés, ne semble guère avoir d’états d’âme. Sa doctrine, en l’occurrence, est celle de la «légitime défense collective», le collectif renvoyant à tous les citoyens du monde civilisé, qui doivent savoir gré au président de prendre ainsi en charge leur protection. Les juges français, il est vrai, comme les israéliens, ne semblent pas trop goûter ce genre de justification; mais François Hollande leur a cloué le bec en dénonçant leur «lâcheté» dans un récent livre d’entretiens.

La grâce dont a bénéficié Jacqueline Sauvage ressemble d’ailleurs à une petite revanche du président sur la magistrature, accusée cette fois d’acharnement et publiquement désavouée. Mme Sauvage, rappelons-le, a tué son mari de trois coups de feu tirés dans le dos. Elle ne semblait pas menacée par lui, les circonstances ont même paru plutôt douteuses aux juges. Mais un mari violent, c’est un peu comme un Noir ou un Palestinien, on ne sait jamais ce que ça vous réserve. Et il faut savoir revoir les définitions: envisager une légitime défense par anticipation; ou a posteriori. Très a posteriori, même, puisque l’enfer conjugal aurait duré quarante-sept années; et que les filles de Jacqueline n’ont révélé les abus sexuels que leur père leur aurait fait subir dans leur enfance qu’au moment du procès, soit vingt à trente ans plus tard, sans jamais avoir essayé d’intervenir pour protéger leur mère une fois devenues majeures, mariées et mères de famille. Jacqueline était libre de ses mouvements, elle a fait de la prospection pour l’entreprise fondée avec son mari, vivait à treize kilomètres de Montargis où l’on trouve un commissariat et pas moins de trois organismes chargés de l’aide aux femmes et aux familles. Aucune plainte. Elle a préféré se faire justice. C’est un choix. Mais les juges n’aiment pas qu’on se substitue à eux; et ils voient le mal partout. Ils n’ont pas voulu admettre que Jacqueline ait été «sous emprise». Or une emprise, ça peut durer longtemps. Etre aussi à éclipses, puisqu’on aurait vu cette femme meurtrie gifler un voisin, ou se ruer chez une rivale pour la poursuivre jusqu’à la gendarmerie avec un fusil – arme qui lui était familière: elle était membre active d’une association de chasseurs. Bien des détails à charge ont été encore retenus par des juges et des accusateurs tatillons, sceptiques par fonction, ou par une administration pénitentiaire qui s’est plainte d’un comportement «méchant», en prison, envers les codétenues, et d’une insubordination face aux surveillantes. Bref, un portrait qui cadre mal avec l’image de la victime sous emprise.

Mais que valent les faits face à la puissance du symbole? Car de tous côtés on n’a pas manqué de le souligner: Jacqueline Sauvage est le symbole même des violences subies par les femmes. Et quand un symbole prend le fusil, comment ne pas s’extasier! Légitime défense. C’est bien pour ça qu’on a aboli la peine de mort; pour donner champ libre aux «exécutions extrajudiciaires» qui font tant saliver un locataire de l’Elysée en sursis.

* Ecrivain.

Opinions Chroniques Guy Poitry

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lundi 8 janvier 2018

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