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Apprendre, mais pas n’importe quoi!

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Longtemps, les machines à calculer ne pouvaient que restituer ou transformer l’information selon les opérations prévues par leurs constructeurs. Puis sont venues les machines programmables que les utilisateurs peuvent contraindre à exécuter, grâce à leur mémoire et à leur capacité d’apprentissage, des opérations imprévisibles par les constructeurs. Cette histoire des machines est une piste probable pour comprendre comment des capacités d’apprentissage sont apparues, sans doute plusieurs fois, dans le monde vivant. Beaucoup d’animaux, que j’avais jadis qualifiés d’automates génétiques, ont des capacités d’apprentissage nulles, ou presque. Elevés en isolement, avec les ressources nécessaires à leur survie, ils produisent, sans rien apprendre, tous les comportements nécessaires pour vivre et assurer la pérennité de l’espèce, s’ils rencontrent un partenaire sexuel. On qualifie alors d’innés leurs comportements, même si ce mot est peu approprié. Inné signifie «présent à la naissance», laquelle naissance est un moment variable, selon les espèces, entre l’œuf, l’embryon, la larve et l’adulte. De plus, les comportements «innés» ne se manifestent souvent qu’après la naissance. Jamais appris, ils peuvent être sophistiqués, comme la construction de toiles d’araignées, de fourmilières ou les pariades sexuelles d’insectes et d’oiseaux. Ce sont des propriétés des espèces qui évoluent lentement, sont stéréotypées et peu adaptables si le milieu change.

Les comportements appris changent bien plus vite. Ils peuvent être acquis en peu de temps par les individus et diffuser très rapidement dans les populations. En contrepartie, ils sont perdus si l’apprentissage n’a pas lieu.

Avec la programmation, les machines échappent à la volonté de leurs constructeurs pour tomber sous celle de leurs programmeurs. Avec l’apprentissage, les comportements animaux échappent aux effets prévisibles de la sélection naturelle. L’animal se construit une représentation du monde conforme à ce qu’il a appris par sa confrontation à l’environnement et par la volonté de ceux qui conçoivent et/ou contrôlent son apprentissage: congénères imités, parents, dresseurs, enseignants, maîtres à penser, gourous et prophètes. L’apprentissage se fait par conditionnement, c’est à dire punition ou/et récompense. Sera évitée toute action punie ou désagréable, sera renforcé tout comportement agréable ou récompensé. Le programme de comportements mis en œuvre est piloté par les renforcements successifs.

Avec le langage et l’éducation, les humains ont acquis la possibilité de nouvelles représentations du monde, en particulier de mémoire du passé et d’anticipation du futur. Mais ils ont conservé, malgré les pratiques sociales, les règlements et les lois, la possibilité d’apprendre n’importe quoi et la soumission au système, primitif et brutal, de punition-récompense. Ce qui explique que les contes religieux et politiques insensés soient si facilement assimilés et traduits en comportements de foules déments. Au milieu des autres, tout comportement différent est puni, tout comportement conforme est récompensé. La soumission au groupe militaire, religieux, sportif, politique, professionnel, ou autre, fait l’objet d’un double contrôle: récompense par le sentiment d’appartenance, punition par la peur de l’exclusion. Le sens et les objectifs du groupe sont alors facilement oubliés, comme la liberté individuelle et la créativité de ses membres.

Les sociétés et les cultures humaines perdurent en contrôlant les apprentissages, avec le double projet de se reproduire et de «s’améliorer» pour ne pas disparaître dans leurs confrontations. Une culture est un ensemble d’arbitraires éducatifs qui n’ont aucune raison d’être compatibles avec d’autres et dont la seule rationalité est la capacité de survie dans un monde en mouvement. L’empathie et l’acceptation des autres, qui nous permettent de vivre en société, n’ont malheureusement pas encore leurs équivalents dans la coexistence des cultures humaines dans lesquelles on continue, trop souvent, à apprendre n’importe quoi!

* Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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