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L’Inde en déficit de filles

Des milliers d’avortements destinés à éliminer les fœtus féminins sont pratiqués chaque année en Inde. L’organisation Card, partenaire de Terre des Hommes Suisse, s’engage au quotidien pour protéger les filles à naître dans l’Etat d’Odisha. Avec, à terme, le projet d’essaimer dans d’autres Etats de l’est indien.
Société

En Inde, le ratio filles-garçons connaît un déséquilibre de plus en plus important. Selon les statistiques 2015 des Nations unies, on rencontre en Inde seulement 935 filles pour 1000 garçons, un écart inquiétant qui n’a pas cessé de s’aggraver depuis 1901.

L’origine du problème remonte à bien des siècles. En Inde comme dans de nombreux pays d’Asie, la fierté d’avoir un fils est ancestrale et très ancrée dans la culture locale. Selon la tradition, le fils perpétue le nom du père et hérite du patrimoine familial ainsi que de la responsabilité de s’occuper des parents lors de leurs vieux jours. Une fille est considérée comme «moins utile» car elle est amenée à quitter le foyer familial en se mariant; les parents doivent donc économiser pour payer la traditionnelle dot à la belle-famille.

Durant des siècles, cette dévalorisation des filles s’est traduite par des négligences volontaires dans l’alimentation et l’éducation et par de nombreux infanticides à la naissance. Avec l’avancée médicale dans les années 1970, l’arrivée des échographies et la législation de l’IVG, l’Inde a assisté à une flambée du nombre d’avortements sélectifs, que l’on appelle fœticides, et qui visent à supprimer le fœtus lorsque l’on découvre que c’est une fille. Des cliniques privées en ont fait une activité lucrative, proposant même des forfaits échographie/avortement à prix promotionnels. Sans parler des slogans de propagande. L’avortement sélectif a été interdit en Inde en 1994, mais ces pratiques peu sanctionnées perdurent à l’heure actuelle. Sensibiliser, échanger, communiquer au cœur des régions et au plus près des populations locales restent les seules solutions pour faire évoluer les mentalités et éviter l’aggravation critique de ce que l’on appelle déjà le «terrorisme démographique».

Pour combattre ce dangereux déséquilibre du ratio filles/garçons, l’organisation Centre for Action Research and Documentation (Card), partenaire de Terre des Hommes Suisse à l’est de l’Inde dans l’Etat d’Odisha, œuvre au quotidien pour protéger la gent féminine de demain. Pour ce faire, une grande campagne de sensibilisation a été lancée auprès de la population locale et de nombreux groupes de discussion avec les autorités publiques ont été mis en place. En effet, face à un tel problème, c’est toute la société indienne qui doit s’impliquer et se poser les bonnes questions. Tracts, peintures murales, organisation de débats, présence dans les écoles et les lieux clés de la vie quotidienne, l’organisation mobilise chaque citoyen face à ce terrible déséquilibre social et démographique.

En plus de dialoguer avec les familles et les futurs parents, Card et ses équipes locales répertorient les mariages et les femmes enceintes au sein des communautés. Ces dernières sont suivies et enregistrées, l’objectif étant de prévenir au maximum toute initiative d’avortement sélectif. L’association forme des groupes de vigilance à ces problématiques et les membres de ces groupes vont à leur tour sensibiliser leur entourage. Card est présent dans les écoles et les universités mais également auprès des autorités gouvernementales pour suivre les décisions prises concernant les pratiques médicales douteuses relatives au diagnostic prénatal et aux avortements sélectifs.

L’objectif de Card est d’agir localement mais surtout de créer un véritable réseau régional d’information et de sensibilisation à la protection de l’enfant, au droit des femmes et à l’accès à l’éducation. Etant donné la superficie de l’Inde, l’objectif est d’étendre les actions et le message aux autres régions du pays. Card projette notamment de développer avec le soutien de Terre des Hommes Suisse ses activités dans d’autres Etats de l’est de l’Inde: Jharkhand, Bihar et West Bengal.

Ashish Ghosh, coordinateur national en Inde pour Terre des Hommes Suisse, croit profondément en ce projet: «J’espère de tout cœur que les efforts fournis par Card feront la différence et permettront de rééquilibrer le sex-ratio de l’Etat d’Odisha durant les années à venir. Card est sans aucun doute une organisation dont les actions motiveront les différents acteurs de la région, et des autres régions.»

Des professeurs aux élèves, de la grand-mère au petit frère, l’importance de la naissance d’une petite fille et sa place dans la société indienne doivent être revalorisées. Le chemin est semé d’embuches mais le travail est bien engagé; espérons que les prochaines années viendront adoucir le bilan démographique de l’Inde avec de nombreux sourires de femmes.

* Terre des Hommes Suisse.

Opinions Agora Charlotte Pianeta Société

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