Chroniques

Une islamo-paranoïa si utile

En coulisse

Dans l’excellent ouvrage Ce cauchemar qui n’en finit pas1 value="1">Ed. La Découverte, 2016, les deux chercheurs parisiens Pierre Dardot et Christian Laval, présentent un diagnostic au scalpel de l’aspect fondamentalement antidémocratique du projet néolibéral. La manière dont les droits des citoyens sont réduits, chaque jour davantage, au profit d’une petite classe dominante tenant tous les leviers de décision, économiques, juridiques et politiques est décortiquée avec une précision chirurgicale.

Et les auteurs d’aboutir à ce constat: «Huit ans après le déclenchement de la crise, les inégalités s’accroissent, la volatilité du capital est toujours aussi forte, les sacrifices demandés aux plus modestes se multiplient, l’extrême droite a le vent en poupe. La xénophobie se répand, les réfugiés politiques et climatiques meurent en mer et sur les routes, les vies brisées par le chômage sont innombrables. Les cours de la bourse de leur côté ont crevé de nouveaux plafonds avant de retomber, les produits dérivés ont proliféré, les bonus sont repartis à la hausse.»

Cette réalité appelle des réponses urgentes et radicales. Mais comme le démontre un récent article du Monde Diplomatique2 value="2">«Information sous contrôle», Le Monde Diplomatique, juillet 2016, les medias majoritaires, à la solde des groupes financiers, veillent au grain et savent présenter les mouvements sociaux comme autant de mouvements rétrogrades et nuisibles. Toutefois, la stratégie majeure des médias et des politiciens de pacotille soumis aux intérêts privés consiste, comme toujours, à faire dériver le débat sur un bouc émissaire. La cible aujourd’hui est toute trouvée: le musulman ou la musulmane, au sujet desquels la prudence verbale n’est désormais plus de mise. Tant dans les medias que sur les réseaux sociaux, la confusion volontaire entre islamisme radical et islam se répand sans complexe. La parole est libérée: tous dans le même sac, les barbares mauresques! Finalement ne serait-ce pas le Coran le problème? affirme sans sourciller une partie importante de contributeurs au débat public. Et puis cachez ce voile que je ne saurais voir! argumentent les nouveaux Tartuffe, pour le bien-être de la femme musulmane bien entendu, pourtant première cible de toutes ces bonnes âmes néocoloniales à la conscience immaculée.

Le climat devient nauséabond, la stratégie du bouc émissaire fonctionne à merveille. En France, il est devenu l’alpha et l’oméga de la vie politique tant au sein du gouvernement que de l’opposition. En Suisse aussi le front est quasi-commun, depuis l’UDC jusqu’à des groupuscules pseudo-gauchistes à l’obsession paranoïaque anti-islam proche du pathologique. Au moins l’UDC est-elle cohérente avec son logiciel xénophobe et pro-libéral! Mais que dire de toutes ces bonnes âmes de «gauche» qui se proclament souvent militantes de valeurs de solidarités et qui se vautrent dans ce qu’il convient bien d’appeler un racisme primaire? Faut-il leur expliquer, comme à des enfants de trois ans, que 99,9% des musulmans sont des gens normaux qui aiment leur famille et aspirent à la paix; que la croyance en l’islam ou le port du voile ne font pas d’eux des agents du terrorisme international ou des débiles congénitaux à rééduquer d’urgence. On croit rêver de devoir revenir à un niveau de didactisme aussi évident tant la folie raciste semble grandir au sein d’une certaine «gauche» comme au sein de multiples secteurs de la population, pour le plus grand bonheur du bloc oligarchique dominant.

L’analogie avec les années trente du siècle passé se fait chaque jour plus évidente et plus inquiétante: crises à répétition de type systémique, qui n’ont comme autres conséquences que de renforcer le système au lieu d’ouvrir la porte à de véritables alternatives, grâce à la stratégie imparable du bouc émissaire. Un humoriste français s’était amusé à remplacer le mot «musulman» par le mot «juif» dans les diatribes anti-islam de débateurs soi-disant démocrates et adeptes supposés des valeurs des Lumières. Le résultat était effrayant. Nous ne pouvons qu’inviter les lecteurs à faire le test au hasard des contributions des uns et des autres pour voir ou ses situent les tenants de la vraie solidarité avec les hommes et les femmes de toute obédience et où se cache le visage détestable du racisme.
Rappelons encore que dans les années 1930, l’obsession anti-juive traversait tous les courants politiques, de l’extrême droite à une partie de l’extrême gauche. L’islamo-paranoïa, au delà d’être une force d’appoint au système, peut générer de très graves conséquences.

* Auteur, metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

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lundi 8 janvier 2018

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