Chroniques

Nouvelle Comédie, Culture, Louise Michel et Robespierre

En coulisse

A Genève (et ailleurs), les spectateurs de théâtre sont toujours persuadés que les artistes qui trouvent leur public sont soutenus à bout de bras par les institutions et par les organes de subventions. Or la situation est beaucoup plus complexe et aléatoire. A l’heure où se pose la question d’une direction pour la Nouvelle Comédie, l’occasion est propice à faire un bref récapitulatif. Lorsqu’on est un artiste indépendant, pour créer un spectacle on est tributaire 1) soit de l’intérêt d’un directeur de théâtre subventionné, 2) soit de l’aide à la création répartie entre la Ville, le canton, et les fondations privées. C’est évidemment la première configuration qui est la plus souhaitée par les artistes, puisqu’elle permet de développer un projet dans les meilleures conditions sans souci de recherche de budget. C’est aussi la plus ardue à atteindre. Et la plus injuste en termes de redistribution des cartes et de reflet réel des forces créatives d’une région. Partons du début: les directions de théâtres institutionnels sont nommées par des conseils de fondation qui se composent essentiellement de membres de partis politiques (à l’exception du Théâtre de Carouge à la composition plus intimement liée à l’histoire du Théâtre). La question de la représentativité de ces fondations «politiques» mérite d’être posée. Quelques représentants de partis qui touchent leurs jetons de présence pour siéger en vase clos peuvent-ils vraiment refléter les goûts du public? Le magistrat à la culture, Sami Kanaan, redoutait que quelle que soit la direction choisie pour la Nouvelle Comédie (du ressort de la Fondation pour l’art dramatique – la même qui chapeaute l’actuelle Comédie et le Théâtre de Poche), «les gens croient que les dés sont pipés»1 value="1">Tribune de Genève du 2 juillet 2016. C’est bien la preuve que ce système pourrait être revu et amélioré. Pour ma part, je propose que pour des choix aussi importants que celui des directeurs de théâtres publics intégralement payés par les deniers publics et gérant des subventions publiques, le choix revienne au… public. De deux manières: soit par le vote populaire, sur la base de candidatures ouvertes et d’un programme clair, soit par une meilleure représentativité du peuple au sein de ces conseils de fondation. Essentiellement composés – on l’a dit – de membres de partis politiques, la plupart issus du fonctionnariat ou de professions libérales, ces fondations omettent dans leur composition une large partie de la population pourtant elle-même curieuse de théâtre. Pourquoi donc les conseils de fondation n’ouvriraient-ils pas leur portes à des personnes issues de métiers aussi divers que les charcutiers, les menuisiers, les prostituées, les restaurateurs, les libraires, etc.? Le panel représentatif de la population serait bien plus large et plus proche de principes démocratiques dignes de ce nom.

Autre point à améliorer pour avoir une politique culturelle plus juste: la définition de critères stricts, de cahiers des charges à respecter pour les directeurs de théâtres comme pour les subventions à la culture. Le problème actuel est que la planète théâtrale francophone est tétanisée, fractionnée, par des modes et tendances face auxquelles chaque artiste se positionne par l’adhésion ou par l’hostilité. Suivant les philosophies des uns ou des autres, la notion de légitimité de telle nomination ou tendance dominante ouvre la porte à la suspicion et au sentiment d’injustice. Laissons aux décideurs que la tâche n’est pas toujours facile! Que les chargés de la culture clarifient donc les choses sur la base de normes précises. Par exemple: on voudrait sur l’ensemble du territoire genevois 30% de classiques, 30% de textes contemporains (et parmi ceux-là il faudrait intégrer les spectacles d’humour actuellement artificiellement séparés de la création contemporaine avec un grand C!), 20% de spectacles pour enfants, 10% de spectacles d’avant-garde, 10% de choses ne rentrant dans aucune de ces catégories. Ensuite pour chacun de ces ensemble, à quel taux de fréquentation peut-on parler de succès ou d’échec (car évidemment un texte d’avant-garde fédérera moins qu’un classique, mais doit aussi faire la preuve de sa qualité suivant des critères propres à sa catégorie)? Une fois cette norme définie – même si le taux de fréquentation ne doit pas être le baromètre unique, il a son importance, sinon pour qui travaillent les artistes? –, à partir de combien d’échecs peut-on refuser une subvention à un artiste ou inviter un directeur à quitter le navire? Inversement, un précédent succès ou une série de succès peuvent-ils faire espérer à un artiste une subvention pour un projet suivant, à un directeur une reconduction? Enfin la question des quotas: dans les théâtres subventionnés, quelle doit être la proportion d’accueils de spectacles venus d’ailleurs et la proportion de spectacles locaux? Dans les textes contemporains, quelle proportion d’auteurs locaux veut-on mettre en avant? Toutes ces questions peuvent paraître rédhibitoires, dénuées de toute magie, et pourtant ce n’est qu’avec une meilleure définition de ce que l’on attend des théâtres et des artistes, de la qualité de leur lien avec la cité, que l’on pourra satisfaire au mieux l’ensemble du corps social, artistes compris. Ce n’est pas le fait que «les dés soient pipés» que l’on peut redouter pour la Nouvelle Comédie, mais le flou artistique qui permet la perméabilité de représentants minoritaires aux sirènes du snobisme et de l’élitisme, qui déconnecte le théâtre de sa fonction première de service public. Une seule solution: créer des instruments de mesure précis, avec en priorité le souci du public et des professionnels régionaux. Et s’inspirer de l’esprit archi-démocratique de la pasionaria de la Commune Louise Michel pour l’expression de la volonté populaire dans les nominations et programmations ainsi que de l’esprit rigoureux et impartial de Robespierre pour l’application des principes!
 

Notes[+]

* Auteur, metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

Chronique liée

En coulisse

lundi 8 janvier 2018

Connexion