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Le parcours migratoire: un parcours santé?

À votre santé!

Comme nous l’a récemment rappelé le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR), plus de 60 millions de personnes sont déplacées dans le monde par des conflits armés, des violences et des persécutions. A quelques encablures du 20 juin, Journée mondiale des réfugiés, il faut souligner une fois encore la grave crise humanitaire actuelle qui a mené plus d’un million de personnes à chercher asile en Europe en 2015, venant essentiellement de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak et d’Erythrée. Depuis l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie, cinquante mille réfugiés sont bloqués en Grèce et survivent dans des conditions sanitaires dégradées. En effet, selon les observations des équipes Médecins du monde Suisse travaillant dans la région du nord de la Grèce depuis septembre 2015 – d’abord à la frontière gréco-macédonienne puis, depuis la fermeture du camp de transit, dans deux camps proches de Thessalonique –, ces demandeurs d’asile, qui ont tous risqué leur vie en traversant la Méditerranée (doit-on rappeler que plus de 3500 personnes y ont perdu la vie en 2015!), sont des familles entières, des personnes âgées, des femmes avec leurs nouveau-nés, sans oublier ceux et celles qui ont des maladies chroniques souvent décompensées parce qu’ils n’ont pas pu poursuivre leur traitement.

Plus de la moitié des consultations concernent des enfants. Et, ce qui est nouveau, c’est l’apparition d’épidémies, d’abord de varicelle, et maintenant d’oreillons, sans compter les problèmes liés à l’eau qui, dans un camp en particulier, s’est montrée impropre à la boisson. A quand une épidémie de rougeole ou de polio? On ne peut pas blâmer les autorités grecques, étranglées par les mesures d’austérité imposées par l’Europe, qui n’ont même pas la capacité de répondre adéquatement aux besoins de santé de leur population résidente et doivent répondre seules à la fermeture des frontières.

En Suisse, comme le relève la Revue médicale suisse1 value="1">S. von Overbeck Ottino, «Résonances post-traumatiques chez les réfugiés: entre corps, psychisme et culture», 22 juin 2016, www.revmed.ch, les demandeurs d’asile présentent des problèmes de santé particuliers, qui dépendent non seulement de leur parcours migratoire mais aussi des contextes de leur pays d’origine, dont l’ampleur n’est pas encore mesurée par les autorités politiques. En effet, selon une ordonnance fédérale de 2005, seule une information multilingue est donnée aux réfugiés accueillis dans les centres fédéraux. Elle traite de l’organisation des soins en Suisse, des vaccins disponibles et rappelant les principes de prévention du SIDA. Par ailleurs, un questionnaire est rempli, après un entretien; il est ciblé essentiellement sur le risque de tuberculose (malgré le fait qu’une étude rétrospective a montré que cette méthode était moins efficace que la radiographie du thorax faite jusqu’alors pour dépister des tuberculoses actives… mais c’est moins cher). Certes, les cantons peuvent en faire plus, mais là, les disparités sont très grandes: par exemple, il vaut mieux pour les réfugiés être «attribués» aux cantons de Genève et de Vaud qu’à Soleure ou aux Grisons.

Deux mesures permettraient pourtant d’améliorer la situation sanitaire des demandeurs d’asile:

•    des visas humanitaires qui permettraient aux réfugiés de venir en Europe – et en Suisse en particulier – en toute sécurité. Ils seraient délivrés sur place, ou dans les pays proches des conflits où s’amassent la plupart des réfugiés. C’est ce qu’a demandé, à l’appel de Médecins du monde Suisse, avec l’appui de Médecins sans frontières (MSF) et d’Amnesty International, une coalition d’ONG avec le soutien de l’ancienne présidente de la Confédération Ruth Dreifuss: c’est l’appel de Neuchâtel lancé le 21 juin à l’adresse des autorités suisses. Cela permettrait à ces familles d’éviter d’être les victimes de passeurs peu scrupuleux, voire mafieux, et d’encourir des conditions sanitaires désastreuses dans leur trajet migratoire;

•    un bilan médical «contextualisé» (et donc plus large) des demandeurs d’asile tenant compte de l’épidémiologie des maladies transmissibles de la région d’origine, des niveaux sanitaires et d’accès aux soins antérieurs, de l’exposition à des traumatismes divers, de la durée, des modalités et des conditions du parcours migratoire et des particularités individuelles comme le sexe ou le fait d’être mineurs accompagnés ou non.

C’est ainsi que l’on parviendra à une meilleure intégration de ces réfugiés, puisqu’on évitera de nombreuses sources de souffrances et de maladies. Prévenir vaut mieux que guérir, c’est bien connu, mais cela ne fait pas les affaires de tous: ceux qui préfèrent susciter la crainte de l’autre plutôt que de défendre une Suisse de Henri Dunant et des Conventions de Genève, une Suisse humanitaire et ouverte. Mais nous sommes nombreux dans la population qui ne voulons plus de morts en Méditerranée et sommes prêts à accueillir plus de réfugiés.

Notes[+]

* Pédiatre FMH, président de Médecins du monde Suisse.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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