Chroniques

Coup d’œil sur les retraites

(Re)penser l'économie

Les systèmes de retraite par capitalisation entrent à nouveau dans une zone de turbulence. Rappelons que la plupart d’entre eux sont basés sur une capitalisation intégrale: la rente qui sera servie à l’assuré au moment de son départ à la retraite proviendra du capital constitué pendant sa vie active et servi en fonction de l’espérance de vie. Le capital accumulé provient des cotisations du salarié, de celles versées par son patron (les deux étant, ne l’oublions pas, du salaire différé) et du rendement des capitaux: ce qu’on appelle parfois à tort le troisième «cotisant». Les rendements du capital du deuxième pilier sont censés éviter la dépréciation du capital accumulé sans quoi, au moment de la retraite, les salariés verraient leur capital réduit par l’inflation et, par conséquent, le montant des rentes en valeur réelle. C’est aujourd’hui cette troisième source de revenus qui marque le pas.

En effet, les rendements sur les marchés des capitaux tendent à la baisse, tout au moins pour ceux qui sont autorisés par la législation, en raison de la diminution des taux enregistrés depuis plusieurs années sur le marché des capitaux, notamment celui des obligations qui constituent une part importante des placements. Par ailleurs, la Banque nationale suisse, dans ses mesures pour lutter contre la hausse du franc, a introduit au début 2015 des taux d’intérêts négatifs sur les dépôts, qui contribuent eux aussi à cette baisse des rendements. Ces taux négatifs ont pour but de freiner, voire de dissuader, des investisseurs de placer leur argent en francs suisses et éviter ainsi qu’ils ­alimentent la hausse du franc.

La Banque nationale aurait fort bien pu exonérer les caisses de pension suisses de cette mesure, leurs placements en liquidités n’alimentant en rien la spéculation sur le franc. En ne le faisant pas, elle contribue ainsi à l’affaiblissement du deuxième pilier déjà mis à mal par deux autres mesures: la baisse du taux de conversion (qui s’applique au capital accumulé pour déterminer le montant de la rente annuelle en fonction de l’espérance de vie et de la rémunération du capital probable pendant la retraite) et la baisse du taux de rendement minimal qui s’applique au capital pendant la période de constitution du capital de retraite. Ainsi, le taux de rendement a été abaissé de 4% en 2004 à 1,25% en 2016.

Le paradoxe du troisième cotisant réside dans le fait que ce type de revenus provient des rendements des obligations, des actions ou des placements dans l’immobilier. Or ces revenus, censés contribuer aux retraites des salariés résultent de l’exploitation d’autres salariés (parfois en partie les mêmes) ou de la spéculation boursière. A fin 2014, le total des avoirs du deuxième pilier s’élevait à 777 milliards de francs. Par comparaison, l’ensemble de la richesse produite en Suisse atteignait 642 milliards la même année.

Le système du deuxième pilier, outre le fait qu’il est injuste, dans le sens où il favorise les personnes bénéficiant de hauts salaires, sert des rentes avec des écarts beaucoup plus importants que l’AVS, et fait porter tout le risque du placement des capitaux sur les salariés et les retraités. Par ailleurs, le deuxième pilier ne comporte aucun élément de solidarité, chacun touchant une rente en fonction du capital accumulé, ce qui n’est pas le cas de l’AVS où les hauts salaires cotisent davantage sans pour autant toucher une rente supérieure à la rente maximale. Enfin, le système de retraite suisse comporte un troisième pilier qui n’est autre que l’épargne des salariés qui ont le moyen de mettre de l’argent de côté et qui permet des réductions d’impôts davantage favorables aux hauts revenus.

En résumé, le système de retraite dans notre pays est constitué d’un premier pilier comportant une part de solidarité, mais dont les rentes ne permettent pas de vivre, et des deuxième et troisième piliers basés sur la seule capitalisation, favorisant les salaires les plus élevés et soumis aux aléas du marché des capitaux.

Assurer des retraites décentes à la majorité de la population implique de repenser le système de retraites dans son ensemble. Pour cela, il serait nécessaire de renforcer significativement l’AVS. Cela peut se réaliser en fusionnant l’AVS et le deuxième pilier, tout en maintenant les droits acquis des bénéficiaires actuels du deuxième pilier. La place manque ici pour détailler ce projet. Il a été étudié et se révèle économiquement et ­techniquement réaliste.

* Membre de Solidarités, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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