Chroniques

Fausses routes

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Ces dernières semaines, deux événements ont mis en évidence l’islamophobie grandissante de nos démocraties… L’ampleur qui leur a été donnée, notamment dans les médias, illustre les dérives européennes dès lors qu’il s’agit d’islam. Elle pointe la récupération des revendications féministes à but raciste ou islamophobe, mais également les faux combats d’un certain féminisme occidental.

Prenons tout d’abord l’histoire des deux gamins musulmans refusant de serrer la main de leur enseignante. Elle illustre l’impasse dans laquelle nous sommes arrivé-e-s. Tout d’abord, la direction de l’école, qui par peur d’être taxée de raciste, est entrée en matière en leur accordant une exception. Rarement relayés par la presse, les cas d’insubordination d’élèves font partie de l’expérience scolaire. De manière générale, les directions d’établissement rappellent les règles en vigueur et sanctionnent les élèves récalcitrant-e-s. Ensuite, les médias et les politicien-ne-s se sont emparé-e-s de «l’affaire» pour dénoncer le sexisme de l’islam et rappeler combien cette religion ne s’adaptait pas à notre mode de vie, tellement égalitaire. Faut-il rappeler que nombre de demandes de dispense (de sport, de piscine, d’éducation sexuelle, voire de cours de biologie) proviennent d’autres milieux religieux, en majorité chrétiens? Enfin, le traitement médiatique de cette triste situation a été bâclé. Le contexte n’a jamais été évoqué. Un invité de la RTS rappelait cependant que l’enseignante en question aurait tenu des propos islamophobes lors d’une sortie scolaire quelques jours avant. Si cela n’excuse en rien l’attitude des élèves, cela resitue néanmoins cette «escalade». Mais surtout, à aucun moment, l’analyse n’a porté sur l’âge des protagonistes. Il s’agit d’adolescents, dont le sport favori, notamment à l’école, est de tester les limites des adultes. Avant d’y voir un signe de l’incapacité de l’islam à s’adapter à l’Occident, peut-être faudrait-il reposer le contexte, afin de dédramatiser quelque peu. Quant à l’enseignante, on insiste sur la violence symbolique qu’elle a subie. Mais que dire de celle qui lui a été infligée par l’institution scolaire? En faisant une exception, elle a nié l’affront subi, ce qui n’est pas sans rappeler le traitement des discriminations faites aux femmes dans le cadre professionnel, fréquemment minimisées et passées sous silence…

La pseudo convergence autour des valeurs égalitaires que cette «affaire» a entraînée est effrayante. Il serait temps d’arrêter de faire comme si l’ensemble de la population suisse, ses représentant-e-s politiques, ses médias défendaient ardemment les droits des femmes, et seraient fondamentalement féministes! Il s’agit là d’une odieuse récupération, dont nous, féministes, ne voulons pas être complices. Oui, il y a des combats à mener en Suisse pour le respect des femmes (égalité salariale et lutte contre la violence notamment). Oui, il y a des individus qui ne parviennent pas à comprendre que l’égalité entre les femmes et les hommes se construit au quotidien. Malheureusement, on les retrouve dans tous les milieux, laïcs comme croyants, d’ici ou d’ailleurs.

L’autre exemple nous vient de l’Hexagone, où l’islamophobie semble devenue un sport national. Voici qu’une ministre revient sur la question du voile, avec une comparaison plus que maladroite avec l’esclavagisme aux Etats-Unis. Et une philosophe lui emboîte le pas en appelant au boycott des marques de vêtements qui se lancent dans la mode islamique. Ces faits illustrent une autre dérive, celle de vouloir faire feu de tout bois, soit de monter en épingle toute question ayant trait à l’islam. Madame Badinter, vous avez souvent fait «fausse route», mais là, vous vous trompez véritablement de combat.

Appeler au boycott revient à laisser croire que ces entreprises sont des acteurs majeurs du changement. Mais depuis quand attend-on de l’industrie de la mode qu’elle nous ouvre les portes de l’émancipation? Et pourquoi ne pas vous être révoltée auparavant, devant les défilés de mannequins trop maigres, propices à créer des générations d’adolescentes mal dans leur peau et prêtes à tous les excès pour atteindre un idéal inaccessible?

Est-ce vraiment notre combat prioritaire? Dans le contexte actuel, en tant que féministes, ne devrions-nous pas nous concentrer sur la façon de développer une pensée qui puisse articuler critique de certains mouvements religieux (quels qu’ils soient) et combat antiraciste? Une pensée qui, fondée sur un socle universaliste, puisse oser décortiquer la problématique posée par le port du voile ou par le refus pour des garçons de toucher la main d’une femme, sans pour autant stigmatiser ou exclure les personnes concernées? Le fait que tous, y compris les mouvements populistes et l’extrême droite, que ce soit en Suisse ou en France, se mêlent d’égalité devrait nous alerter.

* Investigatrices en études genre.

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