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Le plein de science

Le pays veut devenir un leader de la recherche et investit ses revenus pétroliers dans des équipements de pointe. Mais peut-on construire une nation scientifique en partant de zéro?
Arabie saoudite

A quelque 150 kilomètres de la ville de Djeddah, un centre de recherche flambant neuf est apparu au bord de la mer Rouge. Son objectif? Faire du riche Etat pétrolier une économie de savoir en misant sur la science. La King Abdullah University of Science and Technology (KAUST) a été inaugurée en 2009. Elle concrétise la volonté du roi Abdallah, décédé début 2015, qui rêvait d’une université high-tech capable de faire décoller la recherche scientifique dans le pays. A la fois université et institut de recherche, KAUST est le premier établissement mixte d’Arabie saoudite. Un financement initial de 20 milliards de dollars a permis d’équiper les locaux de laboratoires dernier cri, une infrastructure qui attire des scientifiques du monde entier. KAUST est ainsi rapidement devenu l’un des principaux instituts de recherche du monde arabe.

Le Qatar et les Emirats arabes unis ont choisi d’inciter des universités occidentales renommées à ouvrir des campus sur leurs territoires. L’Arabie saoudite, elle, a opté pour la construction de sa propre institution en partant de zéro, en s’inspirant des meilleures universités privées occidentales. «Notre institution est un test qui doit servir de catalyseur à la nouveauté. Si l’expérience aboutit, elle sera reproduite par d’autres», explique Jean Fréchet, qui a quitté son poste à l’université de Californie à Berkeley pour rejoindre KAUST en tant que vice-président de la recherche. Aujourd’hui, l’institution compte 901 étudiants, dont environ 40% de femmes.

Les deux écoles polytechniques fédérales helvétiques, soutenues financièrement par la Confédération, ont servi de modèle pour KAUST, indique Jean Fréchet. «Notre institution mélange deux approches. Les chercheurs dépendent de bourses mais disposent également de ‘financements de base’. Ils apprécient cette manière de fonctionner, car ils savent qu’ils peuvent poursuivre des travaux ambitieux sans devoir attendre d’année en année l’allocation d’une bourse.»

Cette combinaison de généreux financements, d’équipements de pointe et d’objectifs ambitieux a permis à KAUST d’attirer des scientifiques expérimentés. L’actuel président Jean-Lou Chameau occupait le même poste à Caltech. Le président fondateur, Shih Choon Fong, était, lui, président de l’université nationale de Singapour. Suzana Nunes, vice-doyenne de la division Biologie, environnement et ingénierie de KAUST, dit avoir été attirée par le fait que l’université «offre à chacun la liberté et le soutien pour donner le meilleur de soi. Dans les laboratoires centraux, les étudiants peuvent se former mais aussi travailler avec d’excellents scientifiques».

Jean Fréchet souligne que l’institution est consciente du risque de grandir trop vite. «Notre but consiste à recruter des chercheurs de haut niveau qui s’engagent pour les objectifs de l’université. Nous voulons qu’ils nous rejoignent non pas comme touristes mais en tant que contributeurs.»

La création de KAUST n’est qu’une partie du grand projet saoudien qui vise à donner un coup de fouet à la production scientifique du pays. Le royaume a lancé un plan national en 2009, divisé en périodes de cinq ans accompagnées d’objectifs précis, et qui court jusqu’en 2030. Durant la première étape, achevée en 2014, l’Arabie saoudite s’est appliquée à construire une infrastructure pour promouvoir la science dans les universités et les instituts de recherche.

«Nous nous sommes aussi assurés que les recherches menées étaient de haute qualité et auraient un impact aussi bien au niveau régional qu’international», indique Abdulaziz Al-Swailem, vice-président pour la promotion de la recherche scientifique à la King Abdulaziz City for Science and Technology (KACST), l’institut en charge de la stratégie scientifique nationale. Selon Nature Index, la production scientifique de l’Arabie saoudite a progressé ces deux dernières années et dépasse désormais celle de tous les autres pays du Moyen-Orient, excepté Israël.

Abdulaziz Al-Swailem reconnaît que l’un des plus grands défis de KACST est de créer une culture scientifique au sein de la population. Ces dernières années, l’institution a entrepris de traduire les principaux ouvrages et publications scientifiques en arabe. «Nous voulons créer du savoir et le rendre accessible à toutes les sphères de la population. Si nous ne parvenons pas à susciter un appétit pour la science et à renforcer sa place dans la société, notre projet ne pourra pas aboutir.»

* Journaliste scientifique basé au Caire, paru dans Horizons n° 108, mars 2016, FNS, www.snf.ch/fr/

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