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La myopie, une fatalité?

À votre santé!

Récemment, dans une revue spécialisée, est paru un article intitulé «‘Myopie boom’ dans les pays industrialisés!» (DrF. Majo, Paediatrica vol .26 N° 5, 2015). On sait depuis longtemps que les enfants qui ont des parents myopes ont plus de risques de développer une myopie. Mais, dans les pays asiatiques, où les études les plus sérieuses ont été menées, on observe que la myopie concernait 10% à 20% de la population il y a soixante ans, alors qu’aujourd’hui près de 90% des – adolescents et des jeunes adultes, en particulier dans les zones urbaines, sont concernés. Ce phénomène s’est accéléré ces dernières – décennies.

Chez nous, ce ne sont pas moins de 40% des 20-30 ans qui sont atteints de myopie. Des chiffres alarmants, qui font de la myopie un problème de santé publique et méritent une réponse globale. Vous me direz que, en portant des lunettes ou des lentilles, le tour est joué et qu’il n’y a pas lieu de dramatiser. Et qu’il existe aujourd’hui une approche chirurgicale qui «résout» le problème en quelques minutes! D’accord. Mais dans la réalité, les choses sont plus complexes. En effet, la myopie est une maladie de l’œil trop long, qui se développe chez l’individu jeune. Dans 10% des cas, elle est considérée comme grave et peut entraîner une malvoyance: 10% de 90% des jeunes, cela concerne en fait 9% de la population asiatique – et 4% de la nôtre –, ce qui est considérable. Malgré les traitements optimaux, ces jeunes risquent sérieusement de développer des problèmes visuels qui les handicaperont dans leur vie quotidienne d’adulte, et même peut-être avant, par décollement ou déchirement de la rétine, essentiellement.

Comment se fait-il qu’en l’espace de deux ou trois générations, le nombre de myopes ait pareillement augmenté? La théorie de l’hérédité ne peut expliquer ce changement brusque et il faut chercher une autre explication dans une origine acquise – donc probablement environnementale.

L’œil, comme tout organe, se développe tout au long de l’enfance et l’adolescence: la vision d’un bambin d’1 an est très différente de celle d’un enfant de 10 ans. L’œil a besoin de lumière pour améliorer sa fonction. Cette évidence a bien été démontrée dans des études: l’œil privé de lumière, ou même qui en reçoit peu, surtout pendant la petite enfance, aura tendance à développer plus de myopie, voire à perdre sa fonction.

La lumière solaire agirait d’une part directement par son large spectre, mais aussi par son rôle indirect sur la synthèse de la vitamine D, dont on sait maintenant qu’elle n’est pas seulement essentielle pour la fixation du calcium sur les os – et donc de la prévention du rachitisme –, mais aussi pour tous les tissus de soutien comme le cartilage: or la sclère, qui est une des structures de l’œil, est un tissu très proche du cartilage.

L’autre observation est que la sollicitation de près, comme la lecture ou le travail sur un écran, durant l’enfance et l’adolescence en particulier, qui provoque une tension de l’accommodation trop importante, tend à augmenter la taille de l’œil et donc à favoriser la myopie.

La bonne nouvelle qui ressort de ces études est que la myopie n’est pas une fatalité, mais que des mesures simples pourraient facilement la prévenir. D’ailleurs, des recommandations commencent à être édictées visant à augmenter le temps d’exposition à la lumière du soleil (les élèves doivent s’y exposer plusieurs heures par jour, mais sans le fixer!). De plus, en étant dehors, ils font travailler davantage leur vision de loin. Ces recommandations visent aussi à limiter le temps passé devant un écran, afin de soulager la vision de près. D’autres propositions encouragent même à apporter une supplémentation de vitamine D durant toute l’enfance, y compris lors de la poussée pubertaire. Sans parler de techniques de correction préventive par lentilles de contact…

Tout ceci est bien, mais plutôt qu’agir sur les individus, ne devrions-nous pas nous interroger sur nos modes de vie? Ne serait-il pas plus raisonnable de se rappeler que l’enfant ne demande qu’à jouer davantage dehors et que nos vies professionnelles, trop souvent sédentaires et d’intérieur, devraient être contrebalancées par du temps libre pour exercer tous nos sens dans un environnement sain? Cela résoudrait une partie du problème du chômage en répartissant mieux le travail entre tous et cela améliorerait la santé de tous, diminuerait le nombre d’enfants dits hyperactifs et préviendrait la myopie!

Qu’en dites-vous?

Et puisque je parle de l’œil, permettez-moi d’en rajouter une couche en rappelant les risques potentiels des LED pour les yeux des enfants. Les LED vont pourtant officiellement remplacer les ampoules à incandescence le 1er septembre 2016, pour des raisons écologiques. Soit. Cependant, il nous faudra apprendre à bien utiliser ces sources de lumière, surtout à l’intérieur des maisons, sinon une nouvelle épidémie de troubles oculaires dans quelques années, surtout chez l’enfant, est à craindre!

* Pédiatre FMH, président de Médecins du Monde Suisse.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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