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Le Bien public dans notre calendrier de l’Avent

L'Impoligraphe

Aujourd’hui, on ouvre la première fenêtre de notre calendrier de l’Avent. Et dans cette fenêtre, à Genève, y’a une manif (à 17  heures sur la place Neuve). Faut dire que notre calendrier de l’Avent, c’est une version de gauche: y’a des manifs, des débats sur la culture et les budgets publics, du théâtre, du soutien à l’Usine, tout ça, mais pas l’ombre d’une crèche avec un gniard né de père inconnu, un bœuf, un âne, trois rois mages, une étoile filante, des angelots grassouillets soufflant dans des trompettes et une demi-vierge en pleine sortie de déni de grossesse.

Donc, en fin d’après-midi, y’a manif en soutien au mouvement de la fonction publique, dont on a déjà écrit ailleurs (mais qu’on réécrit ici, parce que vous ne lisez pas forcément tout ce qu’on écrit ailleurs) qu’il ne défend plus seulement son statut et ses droits, mais désormais le service public en tant que tel, la grève de la fonction publique étant finalement une grève pour le Bien public. Et comme première fenêtre d’un calendrier de l’Avent de gauche, le Bien public, ça en jette.

Economiser 140 millions de francs en 2016, réduire la masse salariale, les dépenses générales et les subventions de 5% en trois ans, bloquer les postes pendant un quart de siècle (au moins), sans tenir compte de l’augmentation constante de la population du canton (0,6% par an: faites le calcul vous-mêmes pour vingt-cinq ans…), supprimer des postes ici (dans les écoles, la santé, les services sociaux) pour compenser la création de postes là (la police, les prisons…), et s’apprêter à baisser le taux d’imposition de toutes les entreprises pour pouvoir augmenter, un tout petit peu, celui des multinationales, voilà ce que propose le gouvernement d’un canton qui, à lui seul, abrite 40% des milliardaires résidant en Suisse… Le conseiller d’Etat (PDC) Dal Busco le reconnaît lui-même: «un certain nombre de (charges budgétaires) sont contraintes et liées à des lois fédérales et à des engagements de l’Etat». Appliquer un mécanisme rigoureux de «frein à l’endettement» en corsetant les dépenses se ferait forcément au détriment d’autres dépenses que ces dépenses contraintes. D’autant que la dette publique ne résulte pas d’un laxisme budgétaire, mais (ce que ne reconnaît évidemment pas le conseiller d’Etat) d’un choix politique délibéré: celui de réduire la charge fiscale.

Ce «personal stop» linéaire voté par la droite du Grand Conseil (qui s’est assuré qu’il ne pourrait être suspendu que si les deux tiers du parlement en décidaient ainsi) est une «pure imbécilité» selon l’ancien conseiller d’Etat (radical) Guy-Olivier Segond. On n’est pas sûr de cette «pureté», mais on adhère au verdict: ajouter un blocage des postes au frein à l’endettement et au frein au déficit qui existent déjà ne peut mener qu’à une dégradation des prestations, en qualité et en quantité. Et sans doute, aussi, à la privatisation de certains services publics, pour peu qu’il y ait quelque profit à en tirer, et qu’on ait réussi, en les rendant incapables d’assurer efficacement leurs tâches, à en détourner la population, et la dresser contre leurs salariés (mais oui, vous savez, ces «privilégiés» qui se les roulent dans les hôpitaux ou les écoles pour des salaires mirifiques – comme disent ceux qui se goinfrent des salaires deux, trois ou quatre fois supérieurs…). Dans le genre pervers, c’est assez malin, comme méthode – il aura d’ailleurs fallu une grève pour que les TPG n’en fassent pas les frais.

La population augmente constamment, la part de la population âgée aussi, les besoins en équipements publics, en personnel public, en services publics augmentent donc forcément aussi – croyez-vous que cela impressionne les comptables qui nous gouvernent? que nenni. Ce qui les impressionne, c’est la dette.

Qu’ils ont eux-mêmes creusée – ça doit être pour ça qu’elle les impressionne, comme la fosse impressionne le fossoyeur. Alors, au bord de la dette, ceux qui l’ont creusée (diable! il faut bien emprunter pour construire des prisons…) font tourner leurs moulins à prières budgétaires et récitent leur mantra: «Il faut réduire la voilure et changer de paradigme tout en allant de l’avant, mais en marche arrière». Et nous appellent à psalmodier avec eux.

Ben non, on psalmodiera pas avec eux. D’abord parce qu’on aime pas psalmodier. Même en ouvrant la première fenêtre d’un calendrier de l’Avent. Ensuite, parce que si on devait psalmodier quelque chose, on choisirait quelque de plus frais et de plus franc. Dans le genre «faites payer les pauvres, ils sont plus nombreux». Ou «Moins d’écoles, plus de prisons». Ou «Sepp Blatter aux Finances».

Des chants de Noël, quoi…

* Conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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