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L’histoire: une demi-discipline?

VAUD • Les étudiants en histoire à l’Unil, inquiets du sort réservé à leur disciplineLire «Un couac crée l’émoi chez les étudiants», M. Togni, Le Courrier du 16 octobre 2015., réclament un débat public sur la place de l’histoire dans l’enseignement.

L’enseignement de l’histoire au sein de l’école vaudoise subit des pressions constantes, provenant du Grand Conseil et du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture (DFJC) dirigé par Anne-Catherine Lyon. Entre 2010 et 2014, la décision a été prise de coupler l’enseignement de l’histoire à l’enseignement d’«éthique et cultures religieuses» (ECR), nouvelle appellation de l’histoire biblique, désormais dispensé jusqu’en fin de scolarité obligatoire.

Ainsi, sur les deux périodes hebdomadaires consacrées à l’enseignement de l’histoire au secondaire I (10e et 11e Harmos), une demi-période doit être consacrée à l’enseignement de l’ECR, soit une perte d’un quart du temps d’enseignement de l’histoire. De plus, les deux moyennes ont été couplées: les élèves ne reçoivent plus qu’une note pour les deux disciplines.

Dès lors, il est justifié de se poser les questions suivantes: faut-il continuer à enseigner l’histoire à l’école? Ne devrait-on pas coupler l’histoire, l’ECR, la citoyenneté et la géographie en une seule discipline, «culture générale»? Le rôle de l’école est-il vraiment de permettre aux élèves d’élargir leur horizon et de développer leur connaissance du monde?

Toutes ces questions sont pertinentes dès lors que nos élus ont décidé d’y répondre. Il semble clair aux députés du Grand Conseil, tout comme à Mme Lyon, que la connaissance de l’histoire ne possède pas ne place centrale dans le bagage que les écoliers doivent recevoir. Quitte à réduire son importance, nous pourrions donc purement et simplement l’enlever des programmes scolaires et ainsi réaliser des économies intéressantes, tant en temps qu’en argent.

Une autre possibilité serait de prendre le temps de débattre autour de la place de l’histoire à l’école. Cette discussion entraînerait avec elle celle de sa place dans notre société tout entière. Nous cultivons un patrimoine, des savoir­faire, des traditions et une identité, tous inscrits dans le temps. Lors de chaque votation, ou chaque débat, ces racines sont mentionnées et invoquées de part et d’autre de l’échiquier politique. Enseignée ou non, l’histoire remplit une place importante dans la vie de chaque citoyen helvétique.

Coupler l’enseignement de l’histoire à celui d’éthique et cultures religieuses, c’est donc se positionner clairement dans ce débat. L’histoire ne mérite plus ni d’être enseignée ni d’être notée individuellement. De la perspective du Grand Conseil et de Mme Lyon, il s’agit donc d’une demi-discipline. De là à rendre son enseignement facultatif, il n’y a qu’un pas.

Il y a pourtant une forte demande auprès du grand public, à en juger par le succès des romans et films historiques, des magazines, des émissions de télévision et de radio, des monuments et des musées, des livres et des études universitaires. Dans la faculté des lettres de l’université de Lausanne, l’histoire compte autour de cinq cents étudiants, doctorants et enseignants, et ce chiffre va croissant.

C’est donc à contre-courant par rapport à ce succès que le Grand Conseil et le DFJC entendent dévaloriser son enseignement. Il est pourtant nécessaire que l’éducation des écoliers passe par l’apprentissage des thèses centrales sur l’histoire de nos sociétés afin qu’ils puissent s’y retrouver dans l’abondance de textes, d’images mais aussi de discours contradictoires. Ceci ne peut avoir lieu que dans les salles de classe et ne peut être fait que par un enseignant correctement formé dans un cadre lui permettant de réaliser pleinement ses objectifs.

L’histoire étant un des fondements de notre société, sa connaissance est hautement politisée: il est du rôle de l’école de permettre à chacun de comprendre les enjeux non seulement des événements passés, mais aussi de tout discours à leur sujet. Ce n’est par exemple pas innocent de choisir de présentera société actuelle comme héritière du monde gréco-romain ou du monde judéo-chrétien; ce n’est pas non plus anodin de présenter la disparition de l’Empire romain comme résultant des «invasions barbares»; ce n’est pas non plus sans importance de minimiser le rôle des milieux économiques suisses pendant les deux guerres mondiales. De plus, l’étude de l’histoire permet un autre regard sur le monde actuel. Tout n’a pas toujours été comme nous le voyons aujourd’hui, mais les enjeux sont restés les mêmes à travers les siècles: luttes de pouvoir, développement économique, questionnements existentiels, crises, etc. Les analyser avec notre recul permet de comprendre leur fonctionnement et par là même de mieux comprendre notre époque, mais aussi de la remettre en question.

Pour toutes ces raisons, et face à la décision du Grand Conseil et du DFJC, sourds à toute protestation, les étudiants en histoire de l’université de Lausanne se sont mobilisés pour manifester leur désaccord. Une pétition a été déposée, demandant à ce que la décision de coupler l’enseignement de l’histoire et d’éthique et cultures religieuses soit suspendue et qu’une discussion saine puisse être établie. Elle reste aujourd’hui sans réponse de la part des autorités vaudoises. Les étudiants demandent donc qu’un débat soit instauré au sein de la sphère publique: faut-il brader l’enseignement de l’histoire, ou reconnaître son importance dans notre quotidien?

Opinions Agora Séveric Yersin

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