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La primaire des milliardaires

ÉTATS-UNIS • Un arrêt de la Cour suprême a supprimé en 2010 la plupart des restrictions aux donations politiques. Depuis, les grosses fortunes affichent sans pudeur leurs faveurs.

En 2012, MM. Barack Obama et Willard Mitt Romney avaient consacré environ 1 milliard de dollars chacun au financement de leur campagne présidentielle. Plutôt que de verser son écot à un candidat, le milliardaire new-yorkais Donald Trump a décidé d’entrer lui-même dans l’arène: «Je gagne 400 millions de dollars par an, alors quelle différence cela fait-il pour moi?» Un autre milliardaire, M. Ross Perot, promettait dès 1992 «d’acheter la Maison Blanche pour la rendre aux Américains qui ne peuvent plus se la payer».

M. Trump va probablement échouer à son tour, mais non sans avoir éclairé à sa manière le fonctionnement du système politique américain: «Je suis un businessman. Quand [des candidats] m’appellent, je donne. Si j’ai besoin de quelque chose deux ou trois ans plus tard, je les appelle et ils sont là pour moi.» Ancienne sénatrice de New York et candidate aux primaires démocrates, Mme Hillary Clinton fut «là» elle aussi: «Je lui ai dit de venir à mon mariage, elle l’a fait. Vous savez pourquoi? J’avais versé de l’argent à sa fondation.» Afin d’obtenir un président incorruptible, suggère M. Trump, choisissez-le dans la liste des grands corrupteurs!

Un arrêt de la Cour suprême a supprimé en 2010 la plupart des restrictions aux donations politiques1 value="1">Lire Robert W. McChesney et John Nichols, «Aux Etats-Unis, médias, pouvoir et argent achèvent leur fusion», Le Monde diplomatique, août 2011.. Depuis, les grosses fortunes affichent sans pudeur leurs faveurs. Pour expliquer le nombre sans précédent de candidats républicains à la Maison Blanche (dix-sept), le New York Times relève que presque tous peuvent compter «sur l’appui d’un milliardaire, ce qui signifie que leur campagne n’a plus de rapport réel avec leur capacité à lever des fonds en s’adressant aux électeurs». M. John Ellis («Jeb») Bush a déjà redéfini la nature des «petits dons». Pour la plupart des candidats, c’est moins de 200 dollars; pour lui, moins de 25 000 dollars…

Trois milliardaires – MM. Charles et David Koch, M. Sheldon Adelson – sont ainsi devenus les parrains du Parti républicain. Les frères Koch, qui exècrent les syndicats, entendent consacrer 889 millions de dollars aux élections de l’an prochain, à peu près autant que chacun des deux grands partis. Le gouverneur du Wisconsin Scott Walker paraît être leur favori, mais trois de ses concurrents ont obtempéré à leur convocation avec l’espoir d’en tirer eux aussi quelque obole2 value="2">MM. Marco Rubio, Ted Cruz et Rand Paul, respectivement sénateurs de Floride, du Texas et du Kentucky..
M. Walker tente également d’enjôler M. Sheldon Adelson, huitième fortune du pays et adorateur du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou3 value="3">Lire «Netanyahou, président de la droite américaine?», La valise diplomatique, 4 mars 2015.. Là encore, il n’est pas le seul à dorloter le milliardaire octogénaire. Il y a deux ans, M. Adelson estimait que les Etats-Unis devraient expédier des missiles nucléaires sur l’Iran plutôt que de négocier avec ses dirigeants. Les dix-sept candidats républicains avaient peut-être cette appréciation en tête lorsqu’ils ont débattu entre eux le 6 août dernier. En tout cas, tous se sont opposés à l’accord récemment conclu entre Washington et Téhéran.
* Paru dans Le Monde diplomatique de septembre 2015.

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Opinions Agora Serge Halimi

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