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Cour européenne des droits de l’homme: une jurisprudence si peu connue

SUISSE • La résiliation de la Convention européenne des droits de l’homme, visée par l’initiative de l’UDC pour la primauté du droit national, signifierait la mise à mal des droits fondamentaux. Eclairage.

Vendredi dernier, le Conseil fédéral a adopté un rapport, en réponse à un postulat, visant à clarifier la relation entre le droit international et le droit interne. Ce postulat, déposé par le groupe libéral-radical et accepté par le Conseil national avec l’approbation du Conseil fédéral, était intervenu dans le contexte du lancement par l’Union démocratique du Centre d’une initiative populaire intitulée «Le droit suisse au lieu de juges étrangers – initiative pour l’autodétermination».

Dans leur argumentaire, les auteurs de cette proposition affirment que leur initiative ne vise pas la résiliation par la Suisse de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales conclue à Rome le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur en Suisse plus de vingt-quatre ans plus tard, le 28 novembre 1974, plus connue sous son nom abrégé de Convention européenne des droits de l’homme. Ils expliquent toutefois admettre cette possibilité en cas de conflits répétés et fondamentaux avec le droit constitutionnel suisse.

Comme le rappellent eux-mêmes les initiants, la Convention européenne des droits de l’homme est née quelques années après la Deuxième Guerre mondiale avec pour ambition d’éviter que pareilles catastrophes ne se répètent en Europe. Du reste, le préambule de la Convention fait référence à la Déclaration universelle des droits de l’homme, proclamée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, et à la volonté de cette déclaration d’assurer la reconnaissance et l’application universelles et effectives des droits qui y sont énoncés. Ce préambule rappelle aussi que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres et que l’un des moyens d’atteindre ce but est la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui constituent les assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde et dont le maintien repose essentiellement sur un régime politique véritablement démocratique, d’une part, et, d’autre part, sur une conception commune et un commun respect des droits de l’homme dont ils se réclament. Enfin, ce préambule souligne que les Etats européens signataires, animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit, sont résolus à prendre les premières mesures propres à assurer la garantie collective de certains droits énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.

En raison de ce caractère d’universalité, de garantie des droits fondamentaux, la Convention a eu des effets en Suisse, avant même qu’elle ne la ratifie. Ainsi, dans son message en vue de cette ratification, le Conseil fédéral rappelait en 1974 que la loi sur le droit pénal administratif avait été élaborée au début des années 1970 en s’inspirant de la Convention. De même, la modification de la loi sur les stupéfiants introduisait certaines garanties de procédure en cas d’hospitalisation, en conformité de l’article 5 alinéa 4 de la Convention.

La Convention a également inspiré le catalogue des droits fondamentaux lors de l’élaboration de la nouvelle Constitution fédérale du 18 avril 1999 comme des ajouts ultérieurs tel l’accès au juge garanti par l’article 29a de la Constitution et l’article 6 de la Convention.

Pour la doctrine de l’époque, la Convention était audacieuse, non pas tant dans la manière dont elle définissait les libertés, que par la procédure qu’elle prévoyait pour les faire respecter. En effet, les personnes lésées pouvaient, et peuvent toujours, après avoir épuisé les moyens de droit national, porter leurs griefs devant les organes de Strasbourg, à l’époque auprès de la Commission européenne des droits de l’homme, aujourd’hui directement devant la Cour européenne des droits de l’homme.

A l’heure actuelle, résilier cet instrument constitutionnel de l’ordre public européen, ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme définit la Convention, pour des motifs d’ordre politique interne, c’est véritablement vouloir un retour à l’ordre prévalant juste avant la Deuxième Guerre mondiale, où la force des nations prétendait brimer les libertés individuelles.

Cependant, hormis quelques cas emblématiques, la jurisprudence rendue par la Cour européenne des droits de l’homme est peu connue. C’est la raison pour laquelle l’Association des juristes progressistes s’est engagée à populariser ses décisions les plus importantes.

* Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

Opinions Agora Pierre-Yves Bosshard

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