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Hépatite C: entre cupidité des pharmas et passivité des autorités

SANTÉ • Quand le portemonnaie des actionnaires des multinationales prévaut sur les principes de santé publique… Le Sovaldi, «le» médicament contre l’hépatite C, commercialisé en Europe par Gilead, est vendu à des prix prohibitifs. Une histoire de rationnement des soins, en Suisse aussi .

Il faut rappeler que l’hépatite C est une maladie du foie due à un virus, connue depuis le milieu des années 1980 et qui affecte au moins 150 millions de personnes dans le monde, dont plus de 8 millions en Europe. Elle évolue dans plus de 80% des cas vers une cirrhose hépatique ou ouvre la voie à un cancer du foie. Cette maladie, sans un dépistage systématique, peut passer inaperçue pendant plusieurs années, et comme elle est contagieuse, essentiellement par voie sanguine, cela pose un problème de santé publique grave.

En Suisse, 33 000 personnes sont déclarées porteuses de l’hépatite C, mais l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) estime que 83 000 sont porteuses du virus, chiffres qui se retrouvent dans les pays de l’ouest de l’Europe, mais qui sont nettement plus élevés dans l’Est européen. Jusqu’à récemment, il n’existait pas de médicaments très efficaces pour traiter les patients, même si on arrivait à améliorer le pronostic d’au moins la moitié d’entre eux depuis la fin des années 1990, mais au prix d’effets secondaires très lourds et de traitements très longs.

De nombreuses recherches ont été faites depuis le début des années 1990 pour élaborer un vaccin, comme il en existe pour les hépatites A et B, qui permettraient de prévenir la maladie et d’enrayer le risque de contagion. Malheureusement, les chercheurs ont rencontré de redoutables difficultés pour l’hépatite C – comme c’est le cas pour le VIH – en raison de la variabilité génétique du virus.

Depuis quatre ans, apparaissent de nouveaux espoirs de guérir des malades, car de nouveaux médicaments ont été découverts. Le sofosbuvir, commercialisé sous le nom de Sovaldi par la multinationale américaine Gilead, est actuellement le plus prometteur et, associé à d’autres molécules déjà utilisées, permet une guérison proche de 100% et pour un traitement relativement court, puisque limité à trois mois et avec des effets secondaires moindres. Ce serait un soulagement pour les patients et les soignants si l’on pouvait l’offrir à tous les malades. Mais Gilead, qui a obtenu un brevet en Europe, vend son médicament si cher (entre 40 000 et 60 000 euros/francs le traitement de trois mois) que les services de santé européens – et l’OFSP, sur pression des caisses maladie en Suisse – ne le remboursent que pour les patients avec une maladie du foie avancée, ce qui représente un véritable rationnement des soins, scandaleux en soi, mais encore plus dans notre Europe. C’est aussi un non-sens en termes de santé publique, car cette approche ne minimise que marginalement le risque de contagion et permet donc à la maladie de se répandre.

Il faut savoir que les coûts de production du médicament avoisinent les 1000 francs. Gilead justifie, comme toujours, son prix par les coûts de la recherche et par la distribution à un moindre coût dans les pays dit du Sud. Mais il faut savoir qu’une bonne partie de la recherche sur l’hépatite C a été financée par de l’argent public, et que Gilead a, en fait, racheté la start-up qui a développé le sofosbuvir en 2011 pour 11 milliards de dollars, somme qu’elle a gagnée dans la seule année 2014 en commercialisant ce médicament!

Les gouvernements européens et suisse pourraient, au nom d’une disposition légale de l’accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC) de l’OMC, autoriser un producteur de médicaments génériques à produire une copie du sofosbuvir sans demander l’autorisation du détenteur du brevet. Ils pourraient invoquer, dans ce cas, un principe de santé publique, quitte à indemniser Gilead. Aucun ne l’a fait à ce jour, préférant mettre en péril la santé des gens et ordonner un rationnement des soins que de s’attaquer dans le cadre de l’ADPIC à Gilead.

C’est devant la passivité des gouvernement européens et la cupidité de la multinationale Gilead qui préfère arroser de juteux profits à ses actionnaires plutôt que faire bénéficier de son médicament tous les malades atteints d’hépatite C, que le réseau des Médecins du monde européen a déposé un recours d’opposition au brevet du sofosbuvir devant l’Office européen des brevets (OEB) au printemps de cette année.

Il espère obliger les gouvernements à agir et obtenir une baisse drastique du prix de ce médicament de manière à le rendre accessible à toutes les personnes atteintes de cette terrible maladie et de pouvoir ainsi les guérir. A suivre.

* MPH, pédiatre FMH, président de Médecins du monde Suisse.

Opinions Agora Bernard Borel

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