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Les énergies fossiles doivent rester dans le sol

CLIMAT • Pour limiter la surchauffe planétaire, une grande part des réserves d’énergie fossile devraient rester inexploitées, selon une étude de «Nature». Eclairage de Jürg Staudenmann, d’Alliance Sud.

Selon l’ONU, les émissions de CO2 provenant des énergies fossiles ne devront pas excéder 1100 gigatonnes, si l’on entend ne pas dépasser le plafond de 1,5°C à 2°C maximum de réchauffement climatique. Avec le niveau actuel de consommation de pétrole, gaz naturel et charbon, ce volume sera déjà atteint d’ici vingt à trente ans. En fait, on ne parviendra à maintenir les émissions au niveau requis qu’à une seule condition: en s’abstenant dès à présent d’extraire un tiers des réserves mondiales de pétrole, la moitié de celles de gaz et plus de 80% de celles de charbon. C’est ce que montre une étude publiée récemment dans la revue Nature1 value="1">www.nature.com/nature/journal/v517/n7533/full/nature14016.html. Cela signifie que la question classique de l’épuisement des énergies fossiles est fausse. Le vrai problème est qu’une grande partie de ces ressources ne doit tout simplement pas être utilisée à l’avenir. L’exploitation totale des réserves fossiles déjà découvertes excéderait de trois fois la quantité d’émissions tolérables, celle des réserves supposées de dix fois.

Si la communauté internationale décidait de ne pas toucher aux réserves fossiles, celles-ci perdraient une bonne partie de leur valeur. Aujourd’hui déjà, la rentabilité de l’industrie fossile est ébranlée par l’augmentation des coûts de production et par la baisse des coûts des énergies renouvelables. La chute du prix du pétrole a déjà conduit à de nombreux désinvestissements, du géant allemand E-On à la fondation Rockefeller, en passant par Warren Buffet. S’il se maintient en-dessous de 60 dollars le baril, le trend devrait se poursuivre.

Cependant, la plupart des pays continuent à viser la pleine et rapide exploitation de leurs réserves, y compris avec le soutien de fonds publics. La dévalorisation prévisible des ressources fossiles devrait logiquement les amener à enterrer leurs programmes d’extraction, sous peine de gaspiller de manière irresponsable les fonds publics pour des énergies du passé. La crainte, cependant, est que les détenteurs de réserves s’accrochent à cette politique, voire tentent d’en accélérer l’exploitation, pour profiter des derniers espaces d’atmosphère disponibles. Les pays en développement invoquent leurs besoins en moyens de lutte contre la pauvreté. Un argument qui ne tient pas la route, dans la mesure où un approvisionnement énergétique climatiquement neutre est aujourd’hui non seulement possible, mais finançable.

Cette situation implique de repenser le concept du financement du climat. Si l’appui aux pays les plus pauvres et vulnérables doit demeurer prioritaire, la question doit aussi être posée de savoir à quelles conditions des pays en développement et émergents renonceraient à la valorisation (même déclinante) de leurs réserves fossiles. Comment dédommager des pays du Sud qui, en accord avec le Nord, ont bâti leur développement sur l’extraction de ressources non renouvelables? Et, avant tout: qui doit payer et combien? Le cas s’est déjà présenté avec l’Equateur qui a, en vain, réclamé une compensation pour le renoncement à des forages pétroliers dans une réserve naturelle.

Croire qu’on parviendra à définir et, qui plus est, à mettre en œuvre une répartition des droits d’extraction via les négociations sur le climat est irréaliste. La voie la plus prometteuse passe par la mobilisation rapide de moyens technologiques et financiers suffisants des pays riches, qui vont au-delà de l’aide classique au développement.

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Opinions Agora Jürg Staudenmann

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