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Accueil familial: «un cas d’exploitation institutionnalisée»

PETITE ENFANCE • La conseillère municipale Maria Pérez dénonce les conditions salariales auxquelles sont soumises les nouvelles «accueillantes familiales» sous contrat avec la Ville de Genève.

Oyez, oyez! La Ville de Genève recrute! Avec un nouveau métier à son éventail, avec formation gratuite, salaire garanti et même des avantages sociaux! Le job d’«accueillante familiale» vous tente? Vous devez avoir une certaine aisance dans la communication orale en français et au moins la compréhension de l’écrit, vous êtes sans doute une femme peu ou pas formée et il y a de fortes probabilités que vous soyez migrante. Selon le contrat-type établi par l’employeur, votre horaire «n’excédera pas» 50 heures par semaine, de 7 h à 19 h. Vous garderez «au maximum» quatre enfants, y compris les vôtres, ce nombre dépendant de la taille de votre appartement et des aménagements qu’on pourra vous demander d’y faire.

Attention, travail harassant! Le cahier des charges exige résistance physique et psychique. Si vous obtenez l’agrément cantonal pour garder des chérubins, la Ville voudra peut-être vous employer au misérable tarif de 4.17 francs de l’heure par enfant.

Maintenant, à vos calculettes! Pour obtenir à peu près le montant net de votre salaire, il vous faut retrancher 8% du montant brut. Ce qu’on vous présente comme un avantage est la possibilité de déduire de vos impôts une part de votre loyer, puisque vous prêtez votre logis, et vous serez payée quand vous partirez en vacances, merci la Ville qui vous soulage des lourdeurs administratives! Celle-ci, en attendant, s’épargne la construction d’une crèche et le financement de son fonctionnement – quelques millions.

Donc, si vous avez un enfant sous votre responsabilité que vous devrez surveiller, câliner, nourrir et torcher, amuser, pendant 50 heures par semaine, vous toucherez, au bout d’un mois de travail, 834 francs bruts. Pour deux enfants, 1668 francs. Pour trois enfants, 2502 francs, et si vous avez l’insigne honneur de garder quatre enfants 50 heures par semaine, vous toucherez 3336 francs par mois. Bruts, toujours bruts. Pas de quoi vivre décemment à Genève. Nous voici donc devant un nouveau cas d’exploitation institutionnalisée qui appauvrit des femmes et leur vole leur indépendance.

Sous couvert de l’alibi de la charité (la lutte contre le travail au noir et l’assistance administrative), Mme Esther Alder, magistrate en charge de la Petite Enfance, a priori de gauche, a mis en place une structure de coordination pour recruter 20 «accueillantes familiales» pour assurer la garde de 60 enfants d’âge scolaire et préscolaire. Une structure, s’est vantée Mme Alder, qui ne coûte pas un kopeck de plus à la collectivité, qu’elle a mise sur pied grâce à un non-dépensé, car Mme Alder a à cœur de faire des économies sur le dos des employées de la structure. Toutes les employées? Ah non, Madame Alder, peut-être dans un sursaut de conscience de classe, a tout de même su mobiliser quelques fonds, environ 250 000 francs par an pour deux salaires, celui d’une directrice de coordination et d’un(e) comptable.

On est censé être reconnaissants envers la magistrate qui, avec si peu, arrivera à contenter 60 familles. C’est parce qu’on voudra oublier qu’Esther Alder, magistrate de gauche, a réussi à faire du plus précaire que François-Longchamp-le-PLR qui a créé le statut des «emplois de solidarité» (EdS) au Canton. En l’occurrence, même les «Mary Poppins», gardes d’enfants inscrites dans le système EdS, sont mieux payées que les accueillantes familiales engagées par la Ville. Faut-il rappeler que la gauche s’est battue pour un salaire minimum décent? Qu’il y en a marre d’entendre parler du travail complémentaire féminin?

Un travail justement rémunéré vaut mieux que la condescendance des dames patronnesses qui, certes, excellent à distribuer des allocations compensatoires. Nous nous trouvons là devant un nouvel exemple symptomatique d’une incapacité parfois, voire incompétence, à mettre en pratique un discours qu’on veut inscrire à gauche.

Malgré un vote récent du Municipal demandant la revalorisation de ces salaires honteux, Mme Alder persiste et signe, le budget 2015 n’a pas été réévalué en conséquence. Au nom de l’équilibre budgétaire, la magistrate continue de vouloir des employées qui ne lui coûtent pas ou presque rien, et sur lesquelles elle appuiera son bilan pour les municipales d’avril prochain. La balle est donc à nouveau dans le camp du Conseil municipal qui devra répéter plus fort le signal donné.

* Conseillère municipale Ensemble à gauche, Ville de Genève

Opinions Agora Maria Perez

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