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Et si l’obstacle au développement était notre mépris?

NORD-SUD • La mise en place de projets doit nécessairement passer par une prise en compte des traumatismes et des peurs des populations locales, selon Alain Schwaar, actif dans la coopération au développement.

Manifestement, nous, on sait. D’après un récent article du Courrier International1 value="1">«‘L’éradication de la pauvreté’: un point de départ discutable», Josephine Raynauld, 20 août 2014, www.courrierinternational.com, de nouveaux objectifs sont posés – par des experts – pour éradiquer la pauvreté, et accélérer le développement. On ne dit pas si ces objectifs ont été discutés avec les partenaires du Sud, si c’est ce qu’ils considèrent comme prioritaire. En Suisse, la faîtière de coopération au développement Unité, qui regroupe une vingtaine d’associations, évoque la nécessité de «développer un dialogue d’égal à égal»2 value="2">www.unite-ch.org/fr/actualites/developper-le-dialogue avec le Sud. Est-il vraisemblable de penser que des partenaires dépendants financièrement vont pouvoir dire à ceux dont ils dépendent, «d’égal à égal», ce qu’ils pensent?

Nous, depuis le Nord, posons donc des objectifs pour les autres, pour les pauvres. Arrogance ou mépris? Je pencherais pour mépris, car je sens qu’il n’est pas imaginable ni imaginé que la solution puisse venir des intéressés.

Des ONG envoient des volontaires, universitaires, spécialistes, pour «leur» apprendre à faire des projets. Ce qui signifie en fait leur enseigner à parler la langue des bailleurs. Avec les termes exacts pour les budgets, les bonnes rubriques, les codes pour les évaluations et tout ce qu’il faut pour… un bon développement, ou pour convaincre les bailleurs, parce qu’on sait bien que le développement, sans nous, sans notre argent, n’est pas possible. Et nous, nous savons bien que, sans argent, il ne peut y avoir de développement. Et comme «ils» n’en ont pas (d’autant plus qu’une partie de l’argent est chez nous), il faut bien qu’on (s’)investisse.
En tant que volontaires, nous avons fait une expérience qui nous a poussés à nous poser des questions. Et s’ils avaient des projets, et s’ils avaient des envies, et s’ils connaissaient leurs besoins? Mais alors qu’est-ce qui les empêche de les réaliser?

Dans ces pays où il y a des traumatismes personnels et collectifs, il n’est guère étonnant que les gens n’aient pas confiance en eux, n’aient pas confiance entre eux, ne puissent imaginer l’avenir. Dans ces pays où la pauvreté et la violence sont monnaie courante, le réflexe lié au stress est de reproduire ce qu’on a vécu, ce qu’on a subi. Dans ces pays où la peur des autres, du jugement des autres est monnaie courante, il n’est guère étonnant qu’il soit si difficile de travailler ensemble à des projets!

Et si on commençait à s’occuper ensemble des traumatismes, des violences, des peurs? Quand je dis ensemble, j’entends qu’il y a des choses à dire, de leur part et de notre part. Et le fait de parler avec d’autres personnes, et devant les intervenants, fait apparaître les effets des traumatismes, des violences, des peurs. Parler, dire, nommer: une étape indispensable avant d’aborder la question des projets. Passée cette étape, viennent l’énoncé des besoins, des envies.

Depuis 2011, nous avons eu l’occasion d’animer à plusieurs reprises des ateliers en Haïti, et nous y retournerons cette année. Nous avons été sollicités par un partenaire haïtien. La réflexion amenée par ce partenaire était «vivre ensemble, travailler ensemble pour réussir ensemble» à la suite du séisme du 13 janvier 2010, pour apporter «un soulagement aux traumatisés et aux affamés, pour aider à la réorganisation de la société et pour encourager la relance de l’économie».

En automne 2011, en Haïti, le but était de réunir des acteurs locaux du social, de la santé, de l’environnement, de l’enseignement… autour d’une réflexion, d’une coopération à développer, en vivant ensemble l’expérience d’une possible intelligence collective à mettre en mouvement dans un pays marqué par des événements traumatiques, tant récurrents que récents.

Cette année, nous avons animé des séminaires dans une petite ville du nord de l’Angola. Le pays se débat depuis des années avec les suites d’une guerre de presque trente ans, ce qui laisse des traces. La demande portait sur l’élaboration et la gestion de projets.

Dans les deux cas, nous avons pu vérifier deux choses: il y a un sentiment d’impuissance dans la population, d’une part, et une énergie et une volonté, d’autre part. Mais nous avons aussi pu constater que, sans passer par les préalables que sont la prise en compte des traumatismes, la compréhension des phénomènes de violence, les échanges sur les peurs, il ne faut pas compter sur une capacité à agir.

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