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L’intégration soulève des questions délicates

MIGRANTS • Dans le cadre son travail social auprès des réfugiés, Caritas Suisse a parfois du mal à défendre une politique d’intégration, face à un voisinage exigeant une assimilation des valeurs locales de la part des nouveaux venus, au détriment de leurs traits culturels.

Après une longue période d’incertitude, une famille de huit réfugiés a enfin été regroupée dans une commune rurale. La taille et l’origine de la famille ont été remarquées loin à la ronde. Si leur différence a d’abord suscité de l’intérêt, des observations quotidiennes et la peur d’entrer en contact ont ensuite contribué à diffuser un sentiment d’insécurité. Cette situation révèle des aspects importants du processus d’intégration des réfugiés.

Caritas Suisse gère le service d’encadrement des requérants d’asile et des réfugiés de Sarnen, sur mandat du canton d’Obwald. Ce service assume toutes les tâches liées à l’hébergement et à la prise en charge des requérants d’asile, des titulaires d’une admission provisoire et des réfugiés dans le canton. Cela inclut en particulier l’aide économique, la consultation sociale, la santé, le travail, la formation et l’occupation, ainsi que l’intégration pour les personnes autorisées à rester en Suisse.

Cette grande famille de réfugiés, musulmane, applique, conformément à sa culture, un modèle de vie classique avec le père à l’extérieur et la mère au foyer. Du point de vue suisse, le père est ainsi favorisé dans son intégration, d’autant plus qu’il est arrivé en Suisse en tant que requérant d’asile près de trois ans avant le reste de sa famille. Celle-ci a pu s’installer dans une maison trouvée par chance peu avant son arrivée. Les enfants s’y sentent bien; ils vont à l’école et savourent une tranche de liberté nouvellement acquise. La mère par contre se montre à peine en dehors de la maison.

«Pourquoi ont-ils presque tous un téléphone portable et les enfants une trottinette? Ils jouent dans le jardin et dans le quartier sans surveillance, jettent du gravier sur le toit d’une voiture et montent dans la voiture qui n’est pas fermée à clé.» Voilà quelques commentaires entendus dans le quartier. Les voisins ont dû intervenir quand les enfants se sont mis à grimper dans les caves et les réduits des maisons voisines, parce que la mère ne s’en était pas aperçu. Les jouets traînent souvent sur la route du quartier où circulent quelques voitures. Le père doit faire les courses tout seul; il achète des sacs poubelles taxés moins chers en dehors du canton. Quand il fait très chaud, la porte d’entrée de la maison reste ouverte: qui paie alors les charges, qui est responsable? «Ces gens devraient pourtant être accompagnés au quotidien, ils parlent à peine l’allemand.» En tant qu’institution chargée de l’encadrement, Caritas est tout le temps confrontée à ce genre de remarques.

Les services sociaux peuvent-ils décider des dépenses effectuées avec l’aide sociale? Non, dans la mesure où les besoins fondamentaux ne sont pas menacés. La famille est libre de décider quel usage elle fait de son argent. Peut-on ou doit-on intervenir, quand les gens ne sont pas assez soigneux ou ordrés? Comme dans tous rapports de location, l’entretien de l’objet loué relève de la responsabilité des occupants. Les gens cherchent pourtant la responsabilité auprès de l’institution, en l’occurrence Caritas, qui doit veiller à rendre possible une bonne cohabitation.

A côté du travail social classique, les services sociaux sont sollicités pour des thématiques de plus en plus vastes. L’intégration sociale est un processus long et complexe. Caritas accompagne les intéressés au quotidien: il s’agit notamment de les soutenir dans les questions d’éducation et de formation, une aide qui peut aller jusqu’à financer des cours d’appui pour les enfants. Il s’agit d’écouter la personne qui se sent blessée par des discriminations ou d’aider la famille à établir des contacts sociaux, le but étant de la rendre indépendante le plus rapidement possible. Si le travail social ne réussit pas dans tous les cas, malgré tous les efforts déployés, le public jauge ses prestations sur la base de situations négatives et souvent presque désespérées. On ne peut plus fixer les priorités sur la base de critères professionnels; il faut les définir selon des calculs politiques. On oublie dans tout cela que l’intégration est une réussite à bien des endroits.

Les normes et les valeurs peuvent souvent être très différentes. On exige des nouveaux arrivants non seulement qu’ils respectent les valeurs indigènes, mais qu’ils les assimilent. Le peu de cas qui est fait du tiraillement entre l’identité des intéressés et l’assimilation requise dénote souvent un manque de compréhension pour leur situation: beaucoup de réfugiés sont traumatisés par leur histoire et vivent en plus un choc culturel à leur arrivée en Suisse. Les conséquences sont prévisibles: repli dans sa propre culture et fermeture à l’égard de l’étranger. Les confrontations sont inéluctables et ce sont surtout les enfants qui en souffrent. Il s’en suit des parcours chaotiques qui ont un coût pour la société et peuvent occasionner des dégâts irréparables.

En défendant les droits des immigrés, Caritas s’engage pour une société ouverte au monde et tolérante. Cela passe par la promotion de l’entente entre autochtones et immigrés, par le soutien de l’intégration des immigrés et de leur participation à la vie sociétale, par l’encadrement des requérants d’asile et des réfugiés sur mandat des pouvoirs publics. Caritas se met à disposition en construisant des ponts et en s’investissant dans la confiance réciproque.
 

* Directeur du service d’encadrement des requérants d’asile et des réfugiés d’Obwald, Caritas Suisse.

Opinions Agora Guido Meier

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