«Plus ou moins armés de préjugés»
Mercredi 2 octobre 2013. Les brumes automnales s’agrippent à la montagne tandis que je me rends à l’Ecole régionale d’aspirants de police pour y suivre une matinée d’information liée à ma fonction de maître de stage au sein de la police neuchâteloise. Nous sommes plus d’une vingtaine à prendre place, plus ou moins armés de préjugés liés à l’immigration, thème qui sera débattu ce jour. Depuis le printemps arabe, nous voilà quotidiennement confrontés à certains requérants d’asile qui sèment le trouble de manière récurrente, des «récalcitrants» comme on le dit dans le jargon. Que pourrait-on donc nous apprendre de plus à leur sujet?
C’est là qu’entre en scène Cristina Del Biaggio, géographe, dont la fraîcheur ne semble pas avoir été altérée par la dureté des situations auxquelles elle a été confrontée durant deux mois passés à la frontière gréco-turque auprès des migrants. Le cadre est posé, des récits s’enchaînent, cruels, inhumains parfois, teintés de cette haine xénophobe qui caractérise les extrémismes.
Les extrêmes, justement, on en parle au travers du parti grec «Aube dorée», auquel est vraisemblablement affiliée une grande proportion de policiers grecs. Les violences policières dont il est fait mention sont difficilement imaginables tant elles sont, sous certains aspects, assimilables aux exactions perpétrées à l’encontre du peuple juif durant la Seconde Guerre mondiale. La comparaison peut certes choquer mais il me semble que la haine raciale n’a pas d’âge. Elle se répète, siècle après siècle, laissant cette amère sensation que nous n’avons pas appris de nos erreurs. Pire encore, que nous avons une fâcheuse tendance à les répéter.
De prime abord, je ne savais qu’attendre de cette matinée, si ce n’est d’éventuelles mises au point liées à la législation en matière d’asile. A vrai dire même, je m’étais préparée à l’une de ces joutes verbales gauche-droite qui oppose d’ordinaire les forces de l’ordre aux personnes exerçant une profession en lien avec les populations étrangères. En effet, il existe dans ces rapports un double conflit de préjugés qui consiste, pour celui que nous nommerons le travailleur social, à penser que le policier est forcément de droite, et pour le policier, à tenir pour acquis que le travailleur social est immanquablement de gauche. S’ensuivent dès lors des relations souvent biaisées par ces lieux communs qui altèrent la relation avant même qu’un dialogue n’ait pu être entamé. Ce ne fut pas le cas avec notre oratrice. Malgré quelques commentaires peu à-propos de l’assistance, l’interaction a su rester cordiale et résolument orientée vers un esprit d’ouverture de sa part.
Concrètement, je dirais que le fait d’avoir pu engager un dialogue constructif avec Mme Del Biaggio, qui a été confrontée à l’entier de la problématique des migrants, m’a permis d’envisager la situation migratoire dans son aspect plus global. N’avoir affaire qu’à la tranche de demandeurs d’asile commettant des délits a de quoi réduire notre champ de vision et favoriser des généralisations. Nous sommes aussi confrontés à des situations mettant en cause le sens de notre travail: pouvez-vous imaginer arrêter l’auteur d’un vol à 14 h, le relâcher à 15 h et l’interpeller une nouvelle fois à 16 h pour des faits similaires? Je ne tente pas d’excuser la stigmatisation systématique des requérants d’asile mais davantage d’offrir des pistes permettant d’identifier l’origine de l’aigreur de certains pandores.
Texte paru dans Vivre ensemble n° 145/déc. 2013, bulletin de liaison pour la défense du droit d’asile, www.asile.ch/vivre-ensemble/