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L’ordre règne à Genève

MANIFESTATIONS • Pointant la politique répressive qui vise les mouvements de protestation, la CUAE et le MvRC esquissent des pistes pour défendre le droit de manifester.

Depuis deux ans, tout rassemblement est l’occasion d’une intensification du harcèlement et des provocations des forces de l’ordre. Il est devenu usuel de devoir se confronter à un dispositif policier intimidant avant, pendant et après chaque manifestation. A titre d’exemples récents:

• 9 novembre 2012: des dizaines de jeunes manifestant-e-s tentent d’atteindre la place du Mont-Blanc où se tenait le rassemblement pour la commémoration de la fusillade de 1932. La police les interpelle, les fouille et les photographie avant de les autoriser à rejoindre la manifestation. Deux personnes sont amenées au poste et retenues jusqu’à la fin du défilé pour avoir refusé de se laisser photographier. Dans le même temps, la police fait preuve d’une extrême complaisance envers les représentant-e-s de la scène néonazie, venu-e-s provoquer les militant-e-s antifascistes en marge du cortège.

• 28 septembre 2013: des dizaines de jeunes manifestant-e-s essaient d’atteindre le rassemblement pour le droit au logement. Des policiers procèdent à des contrôles et des fouilles préventifs sur ces personnes et sur un véhicule qui transportait du matériel destiné à du théâtre de rue. Deux personnes sont emmenées et retenues au poste. Pendant le cortège, la police multiplie les provocations: manifestant-e-s filmé-e-s et photographié-e-s tout au long du parcours, présence de policiers en civil maladroitement déguisés, agents en moto qui traversent la foule à vive allure. Après que la manifestation a été dissoute, la police – soit disant en manque d’effectifs – mobilise sept fourgons blindés pour tenter d’interpeller et intimider les quelques jeunes occupés à ranger du matériel. Ces derniers sont empêchés de quitter pacifiquement les lieux. Il a fallu l’intervention des organisateur-trice-s de la manifestation pour que le commandant ordonne la fin de l’intervention.

• 3 octobre 2013: à l’occasion de la manifestation des grévistes de Partage et de Gate Gourmet, les mêmes policiers en civil se mêlent au cortège et photographient les personnes présentes. Parmi les forces de l’ordre figurait Louis Boiron, chef de la Brigade de recherche et d’îlotage communautaire (BRIC), soit la police politique genevoise.

Face à cette tournure répressive inacceptable, la réaction a été jusqu’ici bien timide. Après avoir combattu la loi anti-manif en 2012, les organisateur-trice-s des différentes manifestations ont accepté n’importe quelle condition posée par les forces de l’ordre pour qu’elles octroient «le droit» de défiler à Genève. C’est ainsi que les manifestant-e-s se sont retrouvé-e-s à baisser la tête face aux provocations policières et à manifester sur des quais vides pour ne pas gêner la circulation. Qu’on ne nous remarque surtout pas!

Après ces manifestations, les organisateur-trice-s se sont contenté-e-s d’envoyer des courriers de protestation à Pierre Maudet. S’adresser aux autorités qui dictent justement cette ligne répressive est une réponse bien légère face à l’ampleur des dérives policières. Car il ne s’agit pas d’erreurs de la part des forces de l’ordre, mais de la mise en œuvre d’une volonté politique bien précise: en finir avec cet anachronisme que sont les manifestations de rue. Les citoyen-ne-s sont prié-e-s de rester chez eux et d’exprimer leur mécontentement dans les urnes deux fois par décennie!

Que faire? Il faut formuler une analyse politique du rôle de la police dans la perpétuation de l’ordre existant. La répression policière vise en priorité les manifestations qui portent les revendications de celles et ceux qui ne font pas partie de l’infime minorité de privilégié-e-s. Une position claire sur l’attitude à adopter face à la tournure répressive s’impose donc afin de défendre nos droits. Continuer à esquiver ce débat nous réduit au silence et à l’impuissance.

Refuser les exigences de la police concernant le parcours ou le matériel et qui dénaturent la manifestation, ne pas démarrer une manifestation si des contrôles préventifs ont lieu et que des personnes sont empêchées de participer, refuser d’assumer des tâches de police lors des cortèges (service d’ordre), immobiliser le défilé en cas de provocations policières et montrer dans les faits notre solidarité avec les manifestant-e-s stigmatisé-e-s par la police sont aujourd’hui des nécessités. C’est à ces conditions que les manifestations pourront porter nos revendications.

Le moment est venu de savoir si c’est à la police de décider à qui octroyer le droit de manifester: seul-e-s en ont alors le droit celles et ceux qui ont le visage du bon citoyen blanc, bien rasé et avec des papiers en règle. Le moment est venu de savoir si nos ennemi-e-s sont celles et ceux qui portent avec nous des revendications politiques ou bien les autorités qui défendent les injustices sociales. Le moment est venu de choisir son camp.

CUAE, Conférence Universitaire des Associations d’EtudiantEs,
MvRC, Mouvement vers la Révolution citoyenne

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