Au-delà d’une lecture binaire du conflit
Les événements des derniers jours en Egypte témoignent de l’extrême brutalité d’une dictature militaire revenue (ou demeurée) au pouvoir, de l’incapacité de la communauté internationale à condamner fermement la violence contre des civils lorsqu’elle est prétendument dirigée contre des «islamistes», et de la stratégie de manipulation mise en place par un pouvoir ne pouvant s’appuyer sur aucune légitimité démocratique.
Arrivée au pouvoir par ce qui est tout d’abord décrit comme une révolution par ceux qui, faisant fi du cadre démocratique lorsqu’il s’applique aux islamistes, se refusent à parler d’un coup d’état, l’armée révèle désormais son vrai visage, confortant certains dans leur soutien aveugle à un régime brutal tant qu’il prétend s’opposer aux «barbus», embarrassant parfois ses partisans des premiers jours, quand elle ne fait pas fuir à Vienne son prétendant leader inquiet d’être un jour poursuivi pour crimes contre l’humanité.
Des églises brûlent, des chrétiens sont menacés, des musées sont pillés, nous dit-on. On réclame l’application de la «charia», on appelle au «djihad». Au-delà des êtres qui meurent, il semblerait que nous assistions une fois encore, et dans la prolongation d’une politique exprimée par Bush en 2001, à une guerre entre le «bien» et le «mal». L’armée se présente aujourd’hui comme le sauveur de l’Egypte, du Moyen-Orient, voire du monde contre l’obscurantisme et le conservatisme des prétendus islamistes. Jouant la carte de la modernité et de la protection des minorités, l’armée justifie par la violence faite aux coptes et la destruction de l’héritage national, la mise en place de l’état d’urgence et la répression sanglante envers les «coupables»: les Frères musulmans ou les islamistes de manière générale.
S’il est certain que cette compréhension binaire, simpliste et erronée des événements en Egypte par l’Occident porte une fois encore les stigmates d’une vision orientaliste, assumée ou non, et qu’elle détient une responsabilité dans l’actualité égyptienne, elle aura d’autres conséquences sur l’avenir du pays. En effet, tandis que le régime cherche à pallier son manque de légitimité démocratique par une manipulation émotionnelle, le pays se divise et se déchire.
Il ne s’agit pas aujourd’hui d’un combat entre une Egypte pro-islamiste et anti-islamiste. Dans les rangs opposés au coup d’Etat, et contrairement à ce que veut faire croire l’armée et nombre de médias, nombreux sont ceux qui n’appartiennent pas aux Frères musulmans mais se soulèvent pour manifester leur refus d’une prise de pouvoir par la force. Tous les manifestants ne crient pas leur soutien aux Frères musulmans, mais tous s’expriment contre le coup d’Etat. Il y a là une nuance.
Malheureusement, et comme ce fut le cas ailleurs déjà, cette nuance se noie dans la violence, portée ici par la volonté de l’armée d’éradiquer les Frères musulmans et de légitimer leur pouvoir. Ne reste alors qu’une population meurtrie, divisée par des considérations religieuses, sociales, et ethniques instrumentalisées par le pouvoir en place, soutenu implicitement ou non par les puissances étrangères qui partageront un jour avec l’armée la responsabilité d’un pays déchiré entre ses communautés à l’image de l’Irak d’aujourd’hui.
Ainsi, en sus d’un rejet systématique de la violence, il est une responsabilité qu’il est nécessaire de porter tant au niveau national qu’ international afin que l’Egypte ne suive pas le destin tragique de l’Algérie pour lequel s’excusent aujourd’hui les politiques d’ hier: il s’agit de lire entre les lignes, de voir au-delà des fractures présentées et de sans cesse s’interroger sur la source des informations. En un mot, il s’agit de rester éveillé.
*pour la Fondation Cordoue de Genève.