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«La diversité culturelle est menacée par la Comco»

LIVRE • Une vingtaine de librairies romandes indépendantes prennent position en faveur du maintien de l’actuel système de diffusion et de distribution du livre, mis à mal par la Commission de la concurrence (Comco).  

Au vu de la situation actuelle du marché du livre, nous, librairies indépendantes, sentons la nécessité de faire entendre notre voix.

1. Rapport de la Commission de la concurrence (Comco). Après le refus de la loi sur le prix du livre en mars 2012, la situation a continué de se dégrader. La Comco, qui avait mis les diffuseurs et distributeurs sous enquête, a repris son travail et a rendu à l’automne son rapport sur le marché du livre. Or, loin de proposer des solutions, ce rapport est une attaque contre le secteur. La Comco exige en effet des diffuseurs et distributeurs concernés des amendes exorbitantes pour punir des pratiques qu’elle juge cartellaires, au risque de pousser ces entreprises à la faillite.
Plutôt que de corriger les défauts d’un système globalement performant, on prend le risque de le faire imploser, au nom d’une défense sommaire du consommateur qui, aux yeux de cette institution, ne peut être assurée que par une libre concurrence parée de toutes les vertus. Ces pratiques qualifiées de «cartellaires» sont en fait tributaires du système éditorial français, dans lequel les éditeurs gèrent leurs canaux de distribution. Ceci implique une exclusivité de distribution, tout compte fait logique pour des produits uniques comme les livres, mais qui va certes à l’encontre du dogme néolibéral.
Ce que la Comco ne dit pas, c’est qu’une disparition des diffuseurs et surtout des distributeurs ne permettrait en tous cas pas d’améliorer le service des librairies romandes – pour autant qu’elles y survivent. En effet, le système de diffusion-distribution romand a certes des défauts, mais il a aussi des qualités:
• De son existence dépendent de nombreux emplois qualifiés et de nombreuses places d’apprentissage;
• sa proximité avec le réseau de librairies est exceptionnelle en comparaison internationale. Sa logistique est efficace: sur le territoire suisse, un large stock est disponible chez les distributeurs, les délais de livraison sont de 1 à 2 jours dans ce cas-là;
• il permet un droit de retour d’un an sur les nouveautés, indispensable pour les librairies qui peuvent ainsi proposer un large choix d’ouvrages tout en réduisant leurs risques financiers. Ce système du droit de retour est également nécessaire lorsque des auteurs sont invités pour présenter leurs livres, contribuant ainsi à faire des librairies des lieux animés et vivants.
Ainsi, les diffuseurs et distributeurs participent à une diversité culturelle que menacent les mesures de la Comco. Ces qualités ont un prix, somme toute raisonnable au vu des services rendus. S’il est vrai que certains diffuseurs et distributeurs pratiquent des prix excessifs (particulièrement ceux qui appartiennent à des grands groupes, eux-mêmes dépendants d’actionnaires avides de profits à court terme), ce n’est pas le cas de tous. D’autres ont une politique commerciale raisonnable en plus de fournir un travail de qualité. Or, la Comco les met tous dans le même sac.

2. Médias et politique du livre. Les médias ont souvent participé au brouillage de ces enjeux, d’une part en agitant de façon simpliste et démagogique la figure du consommateur et de ses «droits» (ce qui permet d’occulter le problème plus fondamental de la condition des travailleurs); d’autre part, en donnant trop exclusivement la parole au PDG de Payot, le propulsant ainsi en représentant de toutes les librairies, y compris indépendantes. Les librairies romandes sont du coup présentées comme un bloc monolithique alors que M. Vandenberghe défend les intérêts de son entreprise et du groupe auquel elle appartient.

3. Guerre des prix et remises. Notre problème en effet, en tant qu’indépendants, tient essentiellement à la politique agressive du prix que pratiquent des enseignes comme Payot ou la Fnac (et aussi Amazon, mais comme celui-ci échappe au système de distribution en question ici, nous en traiterons séparément dans une autre prise de position). Cette politique de prix est rendue possible par les conditions commerciales scandaleusement avantageuses dont bénéficient les grandes enseignes ainsi que les supermarchés dont la librairie n’est absolument pas le métier.

Ainsi La Poste, la Migros, la Fnac (et Payot) se voient accorder des marges jusqu’à un tiers plus élevées qu’un indépendant. De plus, ils ne paient souvent aucun frais de port alors que ceux-ci pèsent lourdement sur les petites librairies. Pourtant ces enseignes (sauf Payot) ne fournissent pas du tout le même travail de choix des ouvrages, de conseil, de formation, de suivi des commandes ou d’animation culturelle que les librairies indépendantes! Raison pour laquelle nous revendiquons aujourd’hui des remises justes et équitables. Concrètement, nous demandons de réduire l’inégalité des remises (avec une différence maximale autorisée de cinq points) qui ne dépendraient ainsi plus uniquement du volume des commandes.

Car le travail de libraire, s’il est commercial sans aucun doute, est un métier complet, exigeant, ainsi qu’un service culturel. En proposant un choix réfléchi de nouveautés et d’ouvrages de fonds, en invitant des auteurs, en organisant des conférences et autres animations, les librairies participent à la vie culturelle locale. Vu les résultats de la votation sur le prix du livre, la population romande l’a clairement compris. Il est donc indispensable, d’une part, de maintenir le système de diffusion-distribution et, d’autre part, de le rendre plus juste et plus efficace. La lutte contre les abus de prix de certains distributeurs doit passer par un contrôle démocratique comme c’était prévu par la loi sur le prix unique et non par la destruction de ce qui fonctionne. Ceci afin de développer à nouveau un réseau dense de librairies indépendantes et de taille humaine.

Librairies Basta! (Lausanne); du Boulevard (Genève); Humus (Lausanne); du Midi (Oron); Page d’Encre (Delémont); la Méridienne (la Chaux-de­Fonds); La Fontaine (Vevey/EPFL); Belphégor (Lausanne); Fahrenheit 451 (Genève); Pierre-Pertuis (Tavannes); Livresse (Genève); L’Etage (Yverdon); Le Rat Conteur (Neuchâtel); Mots de Passe (Neuchâtel); Des Livres et Moi (Martigny); Repères (Bienne); Papiers Gras (Genève); Nouvelles Pages (Carouge); L’Oreille Cassée (Genève).

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