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GRÈCE • Tandis que des pans entiers de la population peinent à satisfaire leurs besoins primaires, les évolutions législatives impulsées par la Troïka pèsent sur certains droits, tels que la liberté de manifester. Les médias se tiennent cois.

Nous sommes bien loin des «sociétés d’abondance originelle» évoquées par Marshall Sahlins, s’agissant des chasseurs-cueilleurs de jadis. A travers son essai relativement récent, La découverte du vrai sauvage (2007), l’anthropologue américain suggère aussi que les véritables pensées et pratiques sauvages pourraient bien être celles du capitalisme occidental.

Mardi 23 avril, nous avons «commémoré» trois ans de mémorandum, autrement dit les trente-six mois qui ont succédé à la déclaration de Georges Papandreou, depuis l’île de Kastelorizo, qui nous annonçait la nouvelle période d’Occupation. C’est ainsi que le Fonds monétaire international (FMI), l’Union européenne (UE) et la Banque centrale européenne (BCE) ont fait irruption dans notre vie quotidienne en Grèce. Le gouvernement venait d’annoncer en catastrophe que l’Etat grec risquait de faire défaut dans le remboursement d’emprunts nationaux s’il ne réussissait pas à se refinancer, et il devait concéder que les finances publiques étaient dans un état désastreux. Le FMI, l’UE et la BCE, constitués en une sainte alliance ultralibérale, missionnèrent aussitôt leurs experts et mirent le pays sous tutelle: la «Troïka» était formée. Depuis, c’est le temps des «troïkans» en Grèce –  avant l’Espagne, le Portugal, l’Italie, l’Irlande et Chypre – ainsi résumé cette semaine par une Athénienne anonyme dans le métro: «Nous ne sortons plus de chez nous, nous ne fréquentons plus les restaurants ni les bistrots. Toute notre pensée est tournée vers la survie; comment joindre les deux bouts, comment arriver à régler les nouvelles taxes, comment acheter du poisson pas cher… Nous en mangeons une fois par semaine, mais il s’agit du petit poisson pour le petit peuple, comme on dit. Pourtant, cela me coûte chaque fois pas moins de 18 euros. J’ai quatre bouches à nourrir, voyez-vous… C’est terminé, il n’y a plus pour nous ni vacances, ni loisirs, ni extras, nous sommes comme… assignés dans notre coquille.»
De plus, la «mauvaise presse» allemande prétend, ces derniers temps, que les habitants des pays du Sud seraient plus riches que ceux du Nord parce qu’ils possèderaient plus de biens immobiliers, sans tenir compte des autres faits et réalités, culturels et structurels. Déjà, le mémorandum IV prévoit de faciliter la liquidation des biens immobiliers des Grecs, pour ainsi régler leurs dettes privées et envers l’Etat. Evidemment, les habitants des pays du Sud ne sont plus solvables, avec 35% de chômage réel et un tissu économique devenu linceul.

Nos commerces ferment définitivement, nos mendiants handicapés et leurs chiens occupent certains trottoirs: nos villes se transforment en conformité avec le futur. Ce dernier est d’ailleurs en route: on apprend que l’instituteur et chef d’établissement Stefanos Goulionis vient d’être condamné et risque son renvoi de la fonction publique en application des lois mémorandaires 4057/2012 et 4093/2012. Son «crime» est d’avoir manifesté, le 25 mars dernier dans sa ville de Larisa, en Thessalie, au sein d’un rassemblement organisé par l’Union syndicale de sa région contre l’Armageddon provoqué par le gouvernement Samaras et la Troïka. Il a été interpellé par la police durant cette manifestation et mis en examen – à tort, selon les syndicats – pour «violences exercées contre les forces de l’ordre». Par la suite, et conformément au tout récent arsenal juridique issu du mémorandum, Stefanos Goulionis a fait l’objet d’une sanction administrative de la part de sa hiérarchie, suggérant ainsi sa radiation de la fonction publique. Goulionis a fait appel, lequel sera examiné en octobre prochain. D’après Iskra, le site de l’aile gauche de Syriza, il s’agit d’une nouvelle forme de rétrécissement des droits syndicaux et politiques.

Au même moment, dans sa revue Hot Doc, Costas Vaxevanis [journaliste d’investigation arrêté en novembre 2012, puis relaxé, pour avoir publié la liste des Grecs détenant des comptes en Suisse («liste Lagarde»)] affirme qu’«un banquier a décidé d’engager des tueurs à gage pour (l’)éliminer». Mais la presse en parle si peu… On ne médiatise pas non plus les récentes déclarations officielles sur le montant des retraites – le seul (supposé) garanti –, à savoir 360 euros par mois. Les médias évoquent peu également les… prédispositions du parlement européen à adopter la dernière proposition de la Commission, qui consiste à «tondre» potentiellement, si besoin est, les dépôts des épargnants au-delà des premiers 100 000 euros.

Marshall Sahlins avait affirmé qu’une société est vivante si elle ne se laisse pas dépasser par l’événement et, contre vents et marées, reste au centre de son monde. Est-ce encore possible?
 

*Anthropologue et historien, www.greek-crisis.gr/ (texte en version intégrale).

Opinions Agora Panagiotis Grigoriou

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