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Monoxyde d’euro

GRÈCE • A partir de l’impact sociopolitique d’un fait divers tragique – la mort de deux étudiants par asphyxie –, Panagiotis Grigoriou évoque les conséquences de la cure d’austérité imposée à la Grèce.

Nikos et Savas, les deux étudiants intoxiqués au monoxyde de carbone à Larissa, ont été emportés par l’austérité. La Grèce et ses bûches finiront alors tôt ou tard dans un autodafé social forcement lumineux, voire final. «Leurs assassins portent un nom: [les politiciens du gouvernement tripartite] (…)», a remarqué depuis la blogosphère un «père anonyme».

La presse gouvernementale rétorque «qu’il s’agit plutôt d’une affaire relevant de l’imprudence humaine», tandis que le député Nouvelle démocratie Adonis Georgiadis, transfuge du LAOS, extrême droite, s’est efforcé de minimiser (Real-FM, 01/03). Une fois de plus, la cinétique d’un fait divers interpelle le cinéma du réel troïkan1 value="1">Néologisme, référence à la troïka européenne (Banque centrale européenne, Commission européenne et FMI) qui chapeaute le gouvernement grec, ndlr. et l’entracte avec. L’entracte, c’est-à-dire les manifestations étudiantes à Larissa, à Athènes et ailleurs, exprimant leur colère: «La plus grande violence c’est la pauvreté – Deux étudiants morts, vous nous tuez, partez», pouvait-on lire sur deux banderoles place de la Constitution, à Athènes, le 2 mars dernier. Le lendemain, les troïkans, imperturbables, se sont rendus au Ministère des finances. Sur un mur près du ministère, un slogan explicite: «Ils veulent faire de nous des esclaves.»

Il paraîtrait qu’on appréhende toujours ce chaos grec. Le journal mémorandiste2 value="2">Soutenant les plans d’austérité successifs – trois mémorandums en trois ans – imposés par la troïka, ndlr. To Vima a ainsi prétendu samedi que la Commission de Bruxelles aurait fait circuler par mail un avertissement officieux, destiné à ses employés et cadres qui s’apprêteraient à séjourner en Grèce: «(…) Eloignez-vous des protestations et des manifestations. Dans un contexte politiquement sensible, la moindre réaction de votre part peut être mal interprétée. (…) Ne portez pas de façon visible, les indicateurs de votre activité. Méfiez-vous des documents, badges d’identification ou autres objets bien en vue qui démontrent votre affiliation aux institutions européennes. (…) Si possible, évitez de réserver des hôtels et des taxis au nom de la Commission. (…)3 value="3">Texte original en anglais, To Vima, 2 mars 2013, www.tovima.gr/politics/article/?aid=501110»

Maria Damanaki, membre de la Commission, a aussitôt protesté auprès de José Manuel Barroso. «La Commission européenne contribue au redressement de l’image de la Grèce, c’est néanmoins la médiatisation de ce règlement à usage interne (…) qui peut alors nuire à l’image du pays», a répondu le représentant de la Commission en Grèce, Panos Karvounis, (To Vima, 03/03).

Yorgos Trangas, sur Real-FM (04/03), a remarqué que cette note interne «prouve que la Commission est désormais troublée (sic), et que l’on s’attend à la révolte ou à des émeutes en Grèce, et peut-être bien ailleurs au sud de l’Europe (…) Donc aux yeux de Bruxelles, Athènes, c’est presque Kaboul! De quelle Europe unie nous parle-t-on alors? Déjà plus d’un million de Portugais ont manifesté ces derniers jours contre la troïka (…)».

Je remarque que la presse mainstream en Grèce et ailleurs semble vouloir «durablement ignorer» les récentes manifestations portugaises, espagnoles, italiennes, grecques ou bulgares. C’est sans doute aussi «trop ignorer» cette junte économique – et politique – insolite, alors instaurée par l’Union européenne dans certains pays. On comprendra aussi depuis Athènes ou depuis Lisbonne, le sens entier… de «la fin» de l’histoire.

Ceci expliquerait cela, tout comme les résultats des récentes élections italiennes. «Nous comprenons la haine ressentie par le candidat social-démocrate allemand [Peer Steinbrück] à l’encontre de Grillo et de Berlusconi (…) [qui ont mobilisé à eux deux] 55% des Italiens, lesquels ont voté (…) sous la bannière de l’anti-germanisme. Que le veuillent ou non les politiciens allemands (…), l’antigermanisme ainsi exprimé par le vote est désormais l’idéologie la mieux partagée par la majorité des Italiens (…). Cet antigermanisme sans précédent en Europe, se manifestant sous sa forme la plus évidente en Italie, ne fera objectivement qu’alimenter ce même courant [ailleurs] dans l’UE (…) Je comprends aussi l’amertume de Steinbrück: les valets aux ordres des Allemands, Pier Luigi Bersani et Mario Monti (sic) se sont avérés incapables de contrôler le Sénat pour (lui) imposer la politique dictée par Berlin (…)», (Yorgos Delastik, quotidien Ethnos (01/03  ).

En Grèce, en Italie, en Espagne, au Portugal, on ne mâche plus ses mots. Alekos Alavanos, ancien chef de Syriza – Alavanos a depuis pris ses distances – et mentor politique d’Alexis Tsipras, vient d’annoncer son intention de créer un nouveau parti de gauche, dont l’axe central sera la sortie de la Grèce de la zone euro. «Politiquement, ce nouveau parti est déjà présent [dans les mentalités]».

Alekos Alavanos, s’exprimant le 27 février à Patras, a insisté sur la mise en place d’un «Plan B»: faire défaut face aux «créanciers», sortie de l’euro et réintroduction d’une monnaie nationale, créer des liquidités massivement injectées sur le marché intérieur.

On dirait que le monoxyde d’euro n’est plus si incolore, ni si inodore que par le passé. En Europe du Sud en tout cas.

Notes[+]

* Anthropologue et historien, observateur de la crise grecque à travers son blog www.greek-crisis.gr/ où le texte est disponible en version intégrale.

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