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Que veut-elle encore, Mme Sommaruga, avec son plan d’urgence?

ASILE • Yves Brutsch s’interroge sur la dernière invention helvétique pour restreindre l’asile.

J’ai déjà vu beaucoup de choses dans le domaine de l’asile, où la frénésie législative en a déjà fait perdre la tête à plus d’un. Mais lire dans l’édition du Courrier du 20 décembre, sous le titre «Asile: Berne adopte un plan d’urgence», l’annonce par l’ATS que «le Conseil fédéral a adopté un plan d’urgence pour parer aux situations extraordinaires» et qu’il s’agit de «pouvoir déroger à la loi en accordant un asile temporaire mais aussi en restreignant les conditions d’octroi de l’asile» a failli m’achever.

Souvenez-vous. C’était en 1999, à la veille d’une double votation sur la «révision totale de la loi sur l’asile» et sur un «arrêté urgent sur les mesures urgentes dans le domaine de l’asile (AMU)» (tiens donc l’histoire se répète, mais on a quand même pris soin de ne pas mettre deux fois le mot «urgence» dans le titre de la loi qui fait actuellement l’objet d’un référendum). La télévision romande avait organisé en guise de soirée d’information un de ces combats de catch qui font monter l’audimat, et j’ai eu l’honneur d’y être invité avec le conseiller national Nils de Dardel pour porter la réplique au président du Parti libéral suisse, un certain Jacques-Simon Eggly et à un autre parlementaire du bon bord, Claude Frey.

On a parlé ce soir-là de ce que le Conseil fédéral appelait dans son message du 4 décembre 1994 la «clé de voûte» de la nouvelle loi sur l’asile: un chapitre entièrement nouveau pour réglementer «l’octroi d’une protection provisoire» collective en cas d’afflux. La nouvelle loi prévoyait en effet de suspendre les procédures pour des groupes entiers de réfugiés de la violence. C’est que la Suisse, avait dû, pendant la guerre de Bosnie (qui se poursuivait au moment de la publication du message présentant le projet de loi), accorder l’asile à quelques 2500 Bosniaques à cause de la législation angélique qui était en vigueur jusque-là. Il y avait donc urgence à légiférer pour arrêter ces abus. Et on l’a fait. Depuis lors, le Conseil peut décider de lui-même de suspendre l’examen des demandes d’asile en pareil cas, et de ne les reprendre qu’à la fin de la guerre, pour notifier leur renvoi aux intéressés.

J’avais tenté de dire que c’était un peu cavalier de traiter ainsi ceux qui nous demandaient asile, mais Jacques-Simon Eggly avait lâché, avec un aplomb désarmant: «Vous n’avez rien compris, Monsieur Brutsch, c’est pour en accueillir plus qu’on veut suspendre ces procédures qui nous surchargent.» Bien sûr, le peuple avait suivi (avec tout de même, au soir du 13 juin 1999, une minorité de 30% des votants – ce n’est pas négligeable –  qui tenait à préserver le droit d’asile). Depuis lors, notre loi sur l’asile contient donc un chapitre 4 «octroi de la protection provisoire et statut des personnes à protéger», qui donne carte blanche au Conseil fédéral pour décider «si la Suisse accorde la protection provisoire à des groupes de personnes à protéger, et selon quels critères» (art. 66 al. 1 LAsi, pour ceux qui ne me croiraient pas sur parole).

Ironie de l’histoire, la guerre de Bosnie était alors terminée, et celle du Kosovo, pour laquelle les autorités fédérales auraient bien aimé appliquer ce système, venait de s’achever. Et depuis lors, cette «clé de voûte» de notre loi sur l’asile n’a jamais été appliquée. Vous pouvez le vérifier sur internet: les statistiques annuelles de l’Office fédéral des migrations (ODM) comportent toujours des colonnes entières de zéros dans ses tableaux indiquant le nombre de requérants par canton d’attribution ou par pays d’origine, sous la mention «suspension (groupes)». Une mention à laquelle personne ne fait plus attention, et surtout pas les journalistes qui pour la plupart préfèrent gloser sur l’invasion du pays par de «faux» réfugiés plutôt que d’informer correctement le public (c’est vrai, c’est devenu diablement compliqué «l’asile»).

Pourquoi raconter tout cela ? Parce que l’histoire bégaie, et que les services du DFJP viennent de nous rappeler, avec leur «Plan d’Urgence Asile» du 19 décembre, que si les Balkans c’est une affaire classée, il reste le Printemps arabe. Alors j’aimerais poser la question: Madame la conseillère Simonetta Sommaruga a déjà lancé les Chambres fédérales sur un marathon en trois étapes pour saucissonner le durcissement sans fin du droit d’asile. Elle dispose déjà des pleins pouvoirs pour suspendre les procédures d’asile (art. 66 LAsi) ou pour prendre toute autre mesure en cas d’afflux exceptionnel (art. 55 LAsi). L’arrêté urgent du 28 septembre dernier, déjà en vigueur, lui donne déjà en plus le droit de faire des «tests» pour tripatouiller les procédures sans en référer au parlement, au mépris de la séparation des pouvoirs (art. 112b LAsi). Que veut-elle encore, Madame Sommaruga, avec son plan d’urgence? Qu’est-ce qu’il lui manque? La peine de mort pour les demandeurs d’asile? J’hallucine…
 

* ancien porte-parole pour l’asile du Centre social protestant

Opinions Agora Yves Brutsch

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