LE DÉFI DE L’AVENIR DU KOSOVO
Le nord du Kosovo est aujourd’hui la plus grande zone de non-droit en Europe. Considéré comme un eldorado par les trafiquants en tout genre et de toute ethnie, il échappe au contrôle des autorités de Pristina et des mécanismes internationaux depuis maintenant treize ans. Il fait partie intégrante du Kosovo mais les institutions kosovares sont actuellement inexistantes dans cette partie du pays. Il est composé de trois districts: Zvecan, Leposaviq, Zubin Potok et la partie nord de la ville de Mitrovica. Cette zone du pays est majoritairement serbe.
Un an après la fin de la guerre, cette région a été le théâtre d’une épuration ethnique durant laquelle 11 000 Albanais ont été chassés de leur foyer, sous les yeux de la force internationale de maintien de la paix. Depuis, la Serbie a mis en place une politique foncière visant à acheter les propriétés des Albanais – avec l’accord tacite de la communauté internationale.
En mars 2004, des affrontements sanglants interethniques éclatent dans la ville de Mitrovica et s’étendent à tout le pays, causant la mort de dizaines de civils serbes et albanais. Ces affrontements sont caractérisés par des violences antiserbes généralisées, durant lesquelles des milliers de Serbes kosovars ont été contraints à l’exode. L’intensité et la fréquence de ces violences démontrent clairement l’existence d’une véritable entreprise criminelle, mise en place par une structure bien organisée.
Lors de la proclamation de l’indépendance du pays en février 2008, des dizaines de Serbes kosovars révoltés ont brûlés les deux postes frontières entre le Kosovo et la Serbie.
Toutefois, au-delà de la dimension politique caractérisant le problème nord-kosovar, il convient d’en mentionner sa genèse. Cette région du pays est gangrenée par la criminalité organisée et institutionnalisée. Suite à la capitulation de Slobodan Milosevic en 1999, la communauté internationale tolérera la présence illégale d’institutions serbes dans la partie nord du Kosovo, délestant la région de toute présence administrative et policière légale. Le nombre de fonctionnaires des missions internationales se compte sur deux ou trois individus démunis de tout moyen. Cette situation a favorisé un climat propice au développement de la criminalité organisée, avec l’aide directe ou indirecte de la Serbie.
La majorité des acteurs politiques du nord du Kosovo sont connus par les différentes agences internationales telles qu’Interpol comme des acteurs importants du crime organisé balkanique, ainsi que pour leur passé peu glorieux durant les guerres d’ex-Yougoslavie.
Ils jouissent d’un soutien financier important de l’Etat serbe et de ses structures de sécurité depuis la fin de la guerre. Ils ont capitalisé politiquement l’aide financière que la Serbie leur a apportée, se présentant comme les garants de la survie du peuple serbe au Kosovo, dans le but de légitimer leur activité criminelle aux yeux de la population locale.
Ils ont installé un climat de méfiance et de peur au sein de la communauté serbe du Kosovo, lançant des menaces publiques aux citoyens désirant, par exemple, se procurer un passeport kosovar. Ils ne reconnaissent pas les représentants politiques serbes de l’autre partie du pays. Ils démontrent une habilité à instrumentaliser la grande majorité des citoyens serbes kosovars au profit de leur activité criminelle. Ils les utilisent par exemple dans la construction de routes alternatives dans le but de faciliter l’essor de leur trafic, à l’insu de la force internationale de maintien de la paix au Kosovo.
La corruption et le crime organisé albano-serbe
La Commission européenne décrit une situation alarmante au Kosovo, dans son rapport annuel de 2011. La scène politique kosovare serait étroitement liée au crime organisé et le système judiciaire serait endigué par la corruption à tous les niveaux. De nombreux scandales appuient les constations de la commission et ternissent la crédibilité des institutions kosovares.
Cette situation a des répercussions directes sur les investissements étrangers dans le pays. Le géant automobile allemand Mercedes, par exemple, interdit la vente de véhicules à la fonction publique kosovare depuis 2011, du fait du la présence importante de corruption dans ce pays.
Le système judiciaire est inefficace et corrompu. A l’heure actuelle, des dizaines de milliers de procédures judiciaires non élucidées prennent la poussière dans les archives de la Cour de Justice de Pristina. Les différents vols commis dans les locaux de la police kosovare ont considérablement terni l’image de cette institution aux yeux de la population et des missions internationales.
Durant les deux dernières années, les médias d’investigation serbes et kosovars ont mis en lumière l’existence de groupes criminels albano-serbes opérant dans le nord du pays. En effet, de nombreuses sociétés albano-serbes ont vu le jour depuis 2008. Le principe de fonctionnement de ces sociétés est simple. Une société exportatrice serbe crée des sociétés écrans au Kosovo sous le nom de proches, avec un associé albanais. Elle déclare des exportations ou des pertes fictives afin de bénéficier d’indemnisations, partageant ainsi les gains avec l’associé albanais. Ces groupes jouissent de liens étroits avec des fonctionnaires kosovars, démontrant clairement que les têtes pensantes de ces activités criminelles sont des politiciens à Pristina. Au début de l’année 2012, un quotidien kosovar publiait un article cinglant à ce sujet. Un ministre albanais kosovar serait copropriétaire d’une société écran siégeant au nord du Kosovo, enregistrée au nom de la fille d’un ancien ministre du cabinet de Milosevic.
Le manque de présence policière et douanière dans le nord du pays a favorisé la mise en place d’une véritable base arrière pour le crime organisé transnational. Cette situation engendre des pertes colossales de centaines de millions d’euros par année pour le budget kosovar, selon les chiffres émis par différents organes de contrôle budgétaire du pays. Cet argent finit dans la caisse de partis politiques ou groupes para-politiques au Kosovo. Une partie de cet argent est utilisé tant pour entretenir cette situation au bénéfice du crime organisé que pour enrichir de nombreux fonctionnaires kosovars.
L’Union européenne, la Serbie et le Kosovo
L’Union européenne (UE) a annoncé la reprise de pourparlers politiques entre le Kosovo et la Serbie cet automne. Ces pourparlers font suite aux différents accords de coopérations régionales signés entre les deux pays, sous les auspices de l’UE. Le but de ces pourparlers est de normaliser les rapports entre les deux Etats qui ne se reconnaissent pas mutuellement. D’après de nombreux diplomates européens, le nord du Kosovo sera l’un des principaux thèmes de ces discussions politiques. Les dirigeants kosovars sont hostiles à l’idée de discuter de la situation du nord du pays avec la Serbie, craignant devoir faire de nouvelles concessions politiques. Le Kosovo a effectivement proclamé son indépendance le 17 février 2008, sur la base du plan Ahtisaari.
Ce plan est le résultat de concessions politiques douloureuses que les représentants politiques albanais ont fait à l’égard de la minorité serbe du
Kosovo. Il garantit à la communauté serbe les droits constitutionnels les plus larges dont une minorité puisse jouir dans un pays d’Europe. Ce plan place les fondements d’un modèle de république asymétrique, où une communauté ethnique est privilégiée au détriment des autres. Il confine la fonctionnalité de l’Etat aux limites du bon fonctionnement étatique.
La Serbie rejette ce plan et souhaite aborder la question du nord du Kosovo durant ces pourparlers. Sa stratégie politique est claire et repose sur deux variantes. La première consiste à demander l’annexion du nord du Kosovo, comme en témoigne la dernière déclaration du premier ministre serbe Ivica Daciq. Une annexion qui aurait des répercussions directes sur la stabilité régionale à court terme. Une division territoriale du Kosovo éveillerait des revendications politiques similaires chez la communauté albanaise vivant en Macédoine et dans le sud de la Serbie. Une telle situation déstabiliserait ces deux pays, et provoquerait de violents conflits armés semblables à ceux de 2001.
En cas de refus de la communauté internationale, la Serbie appliquera la deuxième variante de sa stratégie, qui vise à octroyer une autonomie politico-territoriale pour le nord du Kosovo. Le but est de créer une entité ou une république serbe, similaire au modèle étatique bosnien. Certes, les accords de paix de Dayton ont mis fin à la guerre sanglante de Bosnie, mais ils ont également enclavé le pays ethniquement. La Bosnie n’a toujours pas d’institution centrale fonctionnelle et cette situation a considérablement ralenti la marche vers l’intégration européenne de ce pays.
Les déclarations sécessionnistes quasi-mensuelles du président de la République serbe de Bosnie, Milorad Dodik, menacent l’intégrité territoriale et l’existence de cet Etat. L’application d’une telle variante au problème nord-kosovar fédéraliserait le Kosovo, et le diviserait territorialement à long terme.
La mention d’une autonomie ou d’une division territoriale comme solution au problème est mal perçue par les Serbes du Kosovo ne vivant pas dans le nord du pays et qui représentent les deux-tiers de la communauté serbe kosovare. Ils ont la crainte de catégoriser une partie des Serbes en traîtres de la nation.
Les revendications politiques de la Serbie dévoilent clairement ses velléités territoriales à l’égard du Kosovo et son désintérêt total pour la communauté serbe qui y vit.
Le nord du Kosovo a besoin de la présence d’un état de droit et d’investissements. Les citoyens de cette région ont le droit de vivre sans les menaces quotidiennes de gangsters albanais et serbes. Cette région ne doit pas être considérée comme un terrain d’expérimentation politique par l’Union européenne, dans le but de compenser les appétits territoriaux de la Serbie. Le Kosovo n’a plus besoin de solution politique hybride, visant à assouvir l’ambition carriériste de certains politiciens kosovars corrompus, ou de (jeunes) diplomates européens.
* traducteur/interprète.