Mondial 2014: ouvriers hors jeu
«Il fait une chaleur étouffante là-dedans.» Sous un soleil écrasant, Washington et son équipe reprennent le travail dans l’enceinte de l’«Arena Fonte Nova», au cœur de Salvador, la capitale de l’Etat de Bahia, au nord-est du Brésil. Le stade, en construction, abritera six matches de la Coupe du monde de football en 2014. Situé sur un terrain pentu, le chantier se transforme en chaudron durant la journée. Mais pas question d’interrompre les travaux. Tout doit être déjà prêt en juin 2013, pour la Coupe des Confédérations, un mini-tournoi entre les meilleures nations de chaque continent. Et la FIFA exige que la pelouse soit installée sept mois avant le premier coup de sifflet…Les délais sont très courts pour les 1700 ouvriers et ouvrières qui s’y affairent jour et nuit.
Nombre de ces travailleurs et travailleuses viennent de Salvador – qui compte près de trois millions d’habitant-e-s. D’autres ont parcouru des centaines de kilomètres depuis l’intérieur des terres de l’Etat de Bahia. Ces ouvrières et ouvriers qualifiés ont, pour la plupart, entre 20 et 35 ans. Ils travaillent officiellement 44 heures par semaine. Leurs salaires? 1070 reais pour un ouvrier qualifié, 680reais pour un manœuvre – soit environ 530 et 330 francs suisses. Insuffisant pour vivre. Selon l’Institut intersyndical d’études socio-économiques, 2200reais au minimum sont nécessaires pour entretenir une famille de quatre personnes.
«L’employeur ne fournit pas de logement aux ouvriers qui ne sont pas de Salvador» explique Lorena, l’une des deux ouvrières de l’équipe. Leur revenu est donc rogné par la location d’une chambre en périphérie – et le coût des transports.
Ce jour-là, Washington, Lorena et ses collègues ne sortiront du boulot qu’à 19h30, au moment où l’équipe de nuit est déjà en place. Side, ouvrier qualifié de 37 ans, en fait partie. Il travaille de 19h15 à 5h du matin, du lundi au samedi. C’est dur: «On perd la nuit, la journée on ne dort pas bien, on est fatigués.» Side réalise en moyenne 52heures supplémentaires par mois.
Pour Bebeto Galvão, le président du syndicat de la construction lourde (Sintepav) à Bahia, le problème touche tous les chantiers du Mondial 2014: «La forte pression sur les délais met en péril la santé des salarié-e-s». Plusieurs grèves ont éclaté ces derniers mois. La plus longue a bloqué durant 19 jours les travaux au stade Maracanã, à Rio de Janeiro. Et les syndicats menacent d’organiser une grève nationale cette année.
En face, la FIFA met la pression pour que le rythme s’accélère encore. Certains médias font état d’un «bras de fer» qui l’opposerait au gouvernement brésilien. Mais la «Loi sur la Coupe», qui sera probablement adoptée en mars 2012, remplit la plupart des exigences de Sepp Blatter. Elle prépare une juridiction d’exception, qui permettra à la FIFA d’imposer ses propres lois – et de reproduire les juteux bénéfices réalisés en Afrique du Sud. Aux dépens des oublié-e-s du Mondial: les ouvriers et ouvrières, les victimes de la politique de «nettoyage social» aux abords des stades, les marchands de rue privés de leur gagne-pain, les supporters locaux dissuadés par le prix exorbitant des billets.
La Copa 2014 sera peut-être une fête. Mais tous les Brésiliens et toutes les Brésiliennes n’y sont pas invités.
* Article à paraître dans le prochain n° du magazine « Solidarité » de Solidar Suisse, l’œuvre d’entraide des syndicats et du Parti socialiste suisse, www.solidar.ch/fr/