LA TULIPE OU LE DALHIA?
Depuis décembre dernier, nous sommes en train d’ajouter à des élections médiocres une auto-médiatisation (en plus de l’autre) qui nous met dans la posture de «l’homme malade» de Genève, comme on le disait au XIXe siècle de l’Empire ottoman.
Sorciers et rebouteux, de l’intérieur et de l’extérieur, se précipitent au chevet du «souffrant».
Cher «souffrant», trop souvent parti-vache-à-lait, parti-marchepied, parti-office de placement, officine pour se faire un prénom, un nom, un profil, etc.
A l’évidence, ceci ne relève pas des sciences politiques. Les remèdes sont à trouver en nous.
La situation qui prévaut depuis fin 2009 pour le Parti socialiste n’est pas unique, jamais vue, ce qui ne veut pas dire: pas grave. Nous avons toujours eu des résultats en dents-de-scie, si l’on veut bien se donner la peine de regarder le panorama de façon longitudinale depuis quarante ou cinquante ans.
Au sortir de la guerre et jusqu’aux années 1960 inclus, le Parti socialiste genevois est un petit parti, éclopé par les soubresauts de la période allant de la fin des années 1930 jusqu’à ce que le pouvoir de traction et d’attraction du tandem Chavanne-Donzé et l’énorme travail de rénovation intellectuelle conduite par Emilio Luisoni la décennie suivante, ne portent leurs fruits.
En dépit de la brève présence de Charles Rosselet au Conseil d’Etat, suivi par Jean Treina, le parti est encore petit et ses conseillers d’Etat élus sur le bulletin radical. Le tour de force des élections de 1961 qui porte au Conseil d’Etat Treina et Chavanne – sans figurer sur le bulletin radical – donne un groupe modeste au Grand Conseil. Le paysage, à gauche, est toujours dominé par le Parti du Travail. Notre ascension coïncide avec le long effritement de ce dernier, dès 1977.
Avec l’arrivée du XXI siècle, nous sommes confrontés à trois reculs successifs. 2001: descente de 22 à 19 sièges, 2005: descente à 17 et, enfin, 2009: descente à 15, étiage de 1993, année du monocolore. A fin 2002, nous vivons le départ brusque d’une vraie figure de proue, locomotive et ciment, Micheline Calmy-Rey. Aucune réflexion n’accompagne ni le départ, ni la cruelle déchirure résultant du processus de remplacement de la nouvelle conseillère fédérale, ni l’apparition de l’Union démocratique du centre (UDC) et, plus tard, bien plus complexe, celle du Mouvement citoyens genevois (MCG).
Du coup, prétendre détenir des explications toutes faites et des remèdes prêts à l’emploi n’est pas crédible. Laisser accréditer l’idée que notre parti est moribond devient une insulte au travail de tant de militantes et militants.
Voici une tentative pour énumérer quelques notions, le plus factuellement possible:
– Depuis 35 ans, les effectifs du parti n’ont pas augmenté, plutôt le contraire. Certaines longévités politiques ont fait le reste;
– Cet état de choses ne permet pas les renouvellements, les enrichissements, les idées et les langages neufs;
– Peut-être ne savons-nous plus (ou pas bien) recruter, accueillir, intégrer et former, surtout? La formation était une réalité vivante du parti auquel j’ai adhéré. Le passage du temps, les départs à la retraite ont tari cette source;
– Ce n’est pas une consolation, mais tous les partis ont du mal à appréhender les réalités mouvantes du monde, sous peine (comme les partis de droite) d’avaler le tout comme on gave les oies. Sans un esprit critique à propos des bénéficiaires réels de ces évolutions et de ces mutations, évolutions et mutations complexes, difficiles à appréhender et à trier, nous n’avancerons pas;
– Finalement, je ne vois que des choses peu spectaculaires, si l’on excepte la tarte à la crème de la communication mal faite. Comme en matière fiscale, cessons de croire que notre principale activité est de plus communiquer ou moins communiquer, tout comme on a réduit la politique fiscale à une bagarre entre celles et ceux qui ne jurent que par plus d’impôts et celles et ceux qui ne croient qu’aux baisses d’impôts.
Il n’est pas question de venir à une conception stalinienne d’un parti alpha et oméga, finalité de tout, mère ogresse mangeant ses petits. C’est un instrument, un levier pour accéder au pouvoir et accéder au pouvoir signifie être au service des plus démunis.
Le parti a besoin d’élu-e-s; pour avoir des élu-e-s, il faut aussi avoir des militant-e-s qui font fonctionner le parti au jour le jour. Cela ne fait pas de ces personnes des militant-e-s de deuxième zone, bien au contraire. Ensemble, ils sont comme les métiers de la scène. Cela ne veut pas dire qu’il y a étanchéité entre les deux groupes. On doit passer de l’un à l’autre, grâce à la limitation des mandats et au non-cumul. Ces deux notions aussi doivent être comprises et pratiquées, non comme des dogmes de foi, mais dans l’intérêt collectif du parti.
Les populations, ici ou ailleurs, élisent des socialistes dans les parlements et les gouvernements, au moins pour le service minimum: faire barrage à la démolition sociale. Quand ce service minimum n’est pas rendu, NOUS SOMMES PUNIS. On comprend que, dans certaines circonstances, on ne puisse faire plus. Mais moins, sans crier haut et fort son refus sur la place publique, ce n’est pas possible. La perception que nous ne servons à rien s’installe. Objectivement justifiée ou pas, cela n’a plus d’importance, à ce stade.
De bonnes âmes nous proposent des remèdes, que je résumerai comme suit: les tulipes se vendent mal, devenez dahlias. Cela ne marche pas, il y a des vocations qui ne sont pas les nôtres.
Le centre gauche et l’extrême gauche sont bien encombrés. Nous n’avons le loisir que d’être de gauche. Est-ce assez sexy?
Enfin, si l’on excepte Micheline Calmy-Rey, il faut remonter quasiment à la fin des années 1960 et début 1970, à Pierre Wyss-Chodat (à qui nous devons la concrétisation de l’ancrage à gauche) pour trouver un parti qui accepte de se laisser diriger. C’est un luxe démodé. I